Par Dr. Bakary Sambe* Directeur du Timbuktu Institute (Bamako)
Le Sommet de Ndjamena a été un moment décisif de sursaut diplomatique marquant un nouvel esprit d’ouverture et d’une prise de conscience de la transnationalité du phénomène terroriste mais aussi de la nécessité d’une approche inclusive. L’ouverture à certains pays comme le Maroc et le Sénégal prouve une nouvelle volonté d’associer les pays qu’on considérait jusqu’ici comme loin des épicentres du terrorisme au Sahel. Certaines évolutions politiques dans les pays voisins ont fait que l’ostracisme relatif à l’égard du Sénégal s’est atténué et que son éventuel apport et celui de son armée pourraient peser sur le rapport de force face aux groupes terroristes.
Le fait que la France, malgré son statut de puissance partenaire incontournable dans la région cherche de plus en plus l’appui sincère des pairs européens est le signe d’une nouvelle ère qui sera celle des coalitions stratégiques. Ce n’est point, comme certains le pensent un signal d’un début de retrait mais d’un niveau type d’engagement voulant éviter l’image peu avantageuse d’une ex-puissance coloniale malgré les tentatives de rupture introduites par Macron depuis le discours de Ouagadougou. Mais le Sommet de Pau a, tout de même, laissé quelques séquelles et des nuages qui pourraient peut-être se dissiper lors de celui de Montpellier à venir.
Quant à l’intérêt des pays arabes pour le Sahel, ce n’est pas nouveau si l’on sait que les puissances du Golfe se livrent déjà une bataille d’influence même dans le domaine militaire dans la continuité de ce qui se joue actuellement sur le terrain libyen si encore glissant et instable. Il y a déjà des accords militaires entre certains pays comme le Niger avec les Emirats Arabes Unis sans parler de l’intérêt croissant du rival qatari pour la région où l’Arabie Saoudite dispose de fortes alliances.
La France au Sahel : un nouvel engagement réaliste ?
Contrairement à ce qu’on peut croire, le Sahel n’a jamais été une question facile pour la France qui doit constamment y gérer l’urgence et l’histoire en même temps. Je ne suis pas du tout surpris de la réaffirmation d’une présence militaire française au Sahel alors que certains évoquaient un improbable retrait. Malgré un vent de nationalisme et de l’anti-impérialisme qui a soufflé au Sahel le temps d’un coup d’Etat au Mali qui aurait concrétisé le rêve de la fin de « l’emprise française », la réalité malienne, elle, reste inchangée et préoccupante. Elle était noyée dans la brève jubilation suscitée par la chute d’un « bourreau », ébranlé, délégitimé (IBK), tandis qu’était scrutée l’arrivée immédiate mais peut-être improbable de Russes ou d’autres acteurs. La réalité est que la France demeure un acteur incontournable dans le jeu sahélien. C’est bien chez nous qu’on dit que ceux qui ne peuvent se séparer doivent cohabiter.
Autant la France reste une « grande puissance africaine » au regard de son influence et de ses intérêts géostratégiques, les pays de la région – surtout le Mali- ne gagneraient pas en matière de sécurité si cet allié arrivait à se retirer ; ce qui est peu probable, par ailleurs. Emmanuel Macron est, désespérément, en quête d’une pédagogie efficiente sur le Sahel auprès de ses concitoyens français, éloignés des réalités du terrain et qui semblent ne pas se retrouver dans ce choc des principes et la nécessité de conjuguer raisons politiques et moyens diplomatiques.
Quelle que soit la pression de la rue, les élites politiques françaises de tous bords, malgré la démagogie de certains, ont toujours été conscientes de l’importance de l’Afrique pour leur pays, son économie et son influence. Que se passe-t-il donc entre les sociétés civiles africaines et la France ? S’agit-il, alors, vraiment d’un sentiment foncièrement anti-français ou plutôt des maladresses d’une nouvelle classe politique française qui a perdu la connexion avec un terrain qui, pourtant, ne lui était pas forcément défavorable ?
Toutefois, la réponse des groupes terroristes qui n’a pas tardé suite à la déclaration du Président français à l’issue du sommet de Ndjamena n’augure pas d’une stabilisation prochaine de la région si l’on fonçait davantage dans le tout-militaire ayant abouti à l’échec constaté de Barkhane. La force Takuba annoncée et encore loin d’être soutenue par les autres pays européens, connaîtra-t-elle une issue différente ? Rien n’est moins sûr si l’on ne change pas de paradigme.