Notre groupe de médias Mehari-Post et Mehari-consulting s’est entretenu avec une brave et courageuse femme, militante et très engagée dans les actions humanitaires. Il s’agit de Bernadette Douyon, Professeure d’enseignement secondaire qui en plus de sa vocation, s’est engagée résolument dans l’entreprenariat et dans le domaine humanitaire. L’entretien s’est porté sur ses parcours scolaire et professionnel, en passant par ses projets d’autonomisation économique, jusqu’aux plaidoyers envers les partenaires du Mali à accompagner le pays sur la voie de la cohésion sociale et le vivre-ensemble.
Petit portrait
Madame Douyon Bernadette Douyon est Mariée et mère de 4 enfants. Elle est la coordinatrice du projet d’éducation aux risques des engins explosifs et de la réduction de violence communautaire dans la région de Mopti et Ségou de l’ONG ASDAP (association de soutien au développement des activités de populations).
De père Dogon et de mère Songhoy, Bernadette est née le 27 septembre 1983 à barapirely dans le cercle de koro dans l’arrondissement de de Koporona, elle est troisième fille d’une famille de six enfants . Membre fondatrice et présidente de l’association sigi te mogo son des jeunes de koro et membre de l’association kamonu Edjoko des femmes de pel maoudé toujours cercle de koro. Elle est détentrice d’un diplôme en Maîtrise en section allemand unilingue et d’un master 2 d’enseignement secondaire général de l’école normale supérieure de Bamako ENSUP toujours en Allemand. Madame Douyon suit également des cours en ligne sur le net en relation internationale et en aide humanitaire avec le centre Kalu qui est en Espagne.
Mehari : Présentez -vous et votre parcours à nos lecteurs
Je m’appelle Bernadette Dougnon, Professeure d’enseignement sécondaire, titulaire d’une maîtrise en section allemande à la Faculté des Langue Littérature et Sciences Humaines (FLASH) et j’ai passé le concours d’entrée à l’École Normale Supérieure (ENSUP) en 2013. J’ai d’abord été admise au baccalauréat en 2005 à Koro, en 5ème région avant de venir poursuivre mes études à Bamako. Durant ma vie estudiantine, je me suis demandée qu’est ce que je pourrais faire pour me soutenir au quotidien dans mes études. J’ai essayé d’économiser ma bourse afin de mener un petit commerce. Au début, je payais de petites choses comme chaussures, des boucles d’oreilles pour les amener à l’école et les vendre. Après j’ai commencé à prendre un peu de pagnes. C’est par la suite qu’après avoir reçu notre rappel de bourse de six (6) mois pendant que j’étais en maîtrise que je suis partie au Burkina Faso pour chercher des tissus et revenir les vendre. Ce petit commerce marchait et me permettait de m’en sortir. Il faut signaler qu’après avoir fini l’ENSUP, je suis partie dans l’enseignement au bénévolat d’abord en donnant quelques cours d’allemand dans les lycées privés de Bamako. C’est en 2017 que je suis partie à Sévaré avec mon mari qui venait d’être muté la bas.
Mehari : Parlez-nous de ce qui vous a marqué dans ces zones urbaines et rurales de Mopri, Bandiagara, koro aau moment des débuts de vos projet surtout celui des cantines scolaires.
La ville de Bandiagara était ma base. Un mois que j’ai fais m’a permis de voir combien les gens ont besoin juste de manger pour pouvoir suivre leurs cours. J’ai compris que c’était important d’avoir le ventre plein pour qu’un enfant puisse venir s’asseoir et écouter un enseignant. J’ai vu aussi beaucoup d’écoles, des directeurs sont engagés mais leurs forces étaient limitées vu qu’ils ne pourraient pas subvenir à certains de leurs besoins et pour maintenir les enfants à l’école. Il y avait des directeurs qui souffraient pour cela. Il y avait une famille qui souffrait par ce qu’elle n’avait pas de quoi à donner à son enfant jusqu’à ce que ce dernier a abandonné l’école. Ces enfants souffrent de la faim et les parents leur retirent de l’école, notamment les filles pour les amener en ville juste pour travailler et subvenir à leurs besoins. Ce sont des choses qui m’ont marqué et qui m’ont fait comprendre vraiment que les gens vivent différemment. Ce n’est pas tout le monde qui a le pain quotidien et que les uns ont besoin des autres. C’est important d’intervenir dans ce monde .
Mehari : Comment vous-vous êtes retrouvée dans l’humanitaire surtout avec la guerre que vous avez mené dans la consolidation de la paix entre les jeunes dans la région de Mopti ?
Un mois après mon installation à Mopti, j’avais trois postes à choisir à savoir un poste à Koulikoro, un poste dans un cabinet privé et j’ai opté pour le Secours Islamique France. Il etait d’abord à Mopti et les thématiques qu’ils avaient pour la « jeunesse et paix » vu le contexte en ce moment que vivait le centre, en commençant par le nord, les différents types de déplacements du nord vers le sud. Des jeunes que je connaissais étaient venus du nord et comment ils vivaient la bas. J’ai fais le nord et je les ai connu la bas et ils vivaient dans les meilleures conditions. Ils ont quitté brédouille pour devenir ici d’autres personnes. Je me suis dis que je dois partir avec ce projet qui concerne la résilience des jeunes. Ce projet était de faire comprendre aux jeunes leur importance qu’ils sont , les potentialités qu’ils ont pour devenir des personnes qu’ils veulent réellement, de bonnes personnes, servir leurs familles ou leur pays. Dans ce projet on apprenait les jeunes comment avoir l’estime de soi-même, confiance en soi, comment reconnaître sa propre valeur et comment se faire respecter par les autres et se respecter soi-même. On leur apprenait comment passer par la négociation que la violence, car tous les problèmes ne se résolvent pas par la violence mais plutôt par la négociation. C’est de leur expliquer que la violence n’est pas bonne car c’est elle qui les a déplacé de leur zone de confort pour se retrouver aujourd’hui à Mopti. Comment leurs familles ou encore la nation entière sont entrain de souffrir à cause de cette violence. Ce projet a permis à beaucoup de jeunes de reprendre conscience de la situation.
Mehari : Comment se faisait le critère de sélection de ces jeunes ?
On avait 100 jeunes à Mopti et le critère de sélection de ces jeunes était de choisir les plus violents, c’est à dire les jeunes qui passent par des adductions, qui passent leur temps à prendre de l’alcool, qui passent leur temps à faire du banditisme dans leur communauté. Sur la base de ces critères, on nous a conduit vers certains jeunes qui répondaient parfaitement. Lors des sessions, nous avons assisté à des coups de poings et des déchirures qui n’étaient pas du tout facile. Nous organisions des sessions sur les dialogues communautaires. Pour avoir l’estime de ces jeunes et en ayant leur confiance, on se déplaçait souvent la nuit pour aller dans leurs grins. On passait du grin par grin pour faire leur sélection. On causait avec eux et on prenait du thé ensemble. Ce sont des jeunes du nord comme de Bourem et d’Ansongo. Certains viennent du pays dogon, du Burkina Faso. Il s’agit des réfugiés qui ont quitté le Burkina Faso mais qui sont naturellement des touarègs, des nordistes. Ils vivaient dans le quartier le plus dangereux de Mopti et ils avaient souvent des problèmes avec la mairie ou soit entre eux-mêmes. On ne pouvait pas se diriger vers ce quartier à une certaine heure de la soirée à cause du bantisme comme : braquages, trafic de drogue, violences, vols et autres. C’était considéré comme un quartier de vagabondage. Grâce au projet, ces jeunes ont pu être récuperés. Nous avons travaillé avec les psychologues afin de traiter certains jeunes. Après avoir pris conscience de ce qu’ils faisaient, les jeunes ont eu honte. Quand on identifie certains comportements des jeunes seulement, on les confie aux psychologues afin qu’ils les fassent revenir à la raison. On avait des jeunes qui ne s’entendaient même pas avec leurs familles. Après la session de formation, les jeunes ont compris de ce qui pouvait être pour leurs familles. Ils se sont revenus dans leurs familles. On a fait de réconciliation entre ces jeunes et leurs parents. Certains nous confiaient que leur difficulté était de leurs parents qui ne s’entendaient pas eux-aussi. On a eu à faire la médiation dans ce sens et on a rencontré leurs parents et les amener à les réconcilier. On a pu réconcilier les enfants. Leurs parents sont revenus nous remercier pour ce qu’on a fait. D’autres nous ont témoigné que leurs enfants qui ne revenaient même pas à la maison travaillent aujourd’hui pour prendre soins d’eux. Le projet était dans sa phase pilote. Mon souhait le plus ardent était qu’après cette phase, de corriger certaines insuffisances et l’étendre sur toutes les autres régions du Mali partout où le besoin se ferait sentir. C’était de prévoir un peu de ce qui nous est arrivé. Il s’agit de prévenir cette violence qui continue de grandir aujourd’hui. Si on avait mis en oeuvre ce projet dans beaucoup d’autres régions, peut-être des jeunes seraient épargnés de ce qu’ils sont en train de faire. À signaler que de milliers de jeunes ont adheré au terrorisme dans le centre du pays. Ce projet permettait aussi d’une forte cohésion entre les enfants, car on avait toute sorte d’ethnies dans le groupe.
Mehari : Votre groupe composait combien de personnes qui travaillaient sur le projet ?
Nous sommes une équipe de dix (10) personnes à qui nous travaillions sur ce projet. Il y avait 3 responsables de volets, un chef de projet et six (6) agents de terrain. On était trois femmes au départ et on est resté deux après.
Mehari :Quelle est votre appréciation sur le bilan du projet ?
Je trouve le résultat très positif. Il y a de ces jeunes qui nous ont vraiment exprimé leurs besoins de pouvoir faire quelque chose qui va leur apporter afin de leur aider à abandonner ce qu’ils font. Ils nous ont confié qu’ils faisaient ces bêtises pour avoir de quoi à manger. Comme les parents n’ont pas de moyens et qu’ils n’avaient rien d’autres à faire à part du banditisme. D’autres sont allés loin en nous confiant les actes qu’ils regrettent aujourd’hui. Ils ont tué des personnes innocentes juste pour retirer leurs motos ou dépouiller leur argent. Ils se sont dits prêts à arrêter ces mauvaises pratiques et qu’ils ont besoin des soutiens, d’être accompagné afin de garantir leur vie.
Mehari : Comment vous vous êtes retrouvée dans le secteur agro-pastoral ?
C’est à partir de Mopti que j’ai commencé à m’interesser au monde humanitaire en commençant comme agent de terrain à l’ONG Caritas Mopti. À mes débuts, j’ai travaillé avec les coopératives des femmes et des coopératives mixtes. Le projet était un peu basé sur l’empowerment, c’est à dire renforcement de l’autonomisation économique. Cela portait sur le maraîchage et l’élévage. C’est à travers ce projet que j’ai pris goût aussi à ces activités après la fin de 9 mois du projet. J’ai commencé à aménager un petit espace devant ma porte pour essayer de ce que j’ai appris pour aider d’autres femmes, autres coopératives. J’ai commencé avec le maraîchage . Au début, certains péssimistes me disaient que ça ne réussirait pas car il y avait trop de termites et que la terre n’était pas bonne. Néammoins, je tenais à tenter l’expérience et qu’elle a donné de bons résultats. J’ai partagé dans le quartier avec tous les voisins. Donc c’était vraiment interessant et finalement ceux qui me disaient que l’experience n’allait pas réussir revenaient vers moi pour dire vraiment que ça été une réussite pour eux-aussi. Grâce à ce résultat aujourd’hui, dans tout mon quartier, des jeunes et femmes ont pris l’initiative d’exploiter les terrains vides qui ne sont pas construits. Aujourd’hui vraiment chacun a ce qu’il faut pour faire quelque chose. C’est à partir de là aussi que je me suis aussi lancée en embouche des boeufs et des moutons avec l’appui de mon mari. On a découvert que cela aussi était interessant. Je conseille beaucoup d’autres compagnons à passer par ces choses qui pourraient leur aider économiquement. Entre temps, j’ai eu un autre poste où j’ai passé juste un mois. C’était dans les écoles, les cantines scolaires. J’ai eu trois postes à la fois dans la région de Mopti.
Mehari : Faites nous un peu le bilan de vos activités agro-pastorales
En ce qui concerne cela, nous sommes maintenant en période hivernale et vu que je n’ai pas assez d’espaces et que c’est dans ma cour que j’ai tout fais. Je les ai vendu et j’attends la saison sèche pour reprendre encore le travail. Actuellement j’ai mes lapins, mes moutons et mes poulets aussi. C’est un travail que je fais à côté et pour la famille.
Mehari : Quels sont les conseils que vous donnez aux jeunes qui n’ont pas de travail et qu’ils doivent prendre l’exemple sur vous ?
Je ne cesserai jamais à chaque occasion pour rappeler aux jeunes, aux partenaires et même à mes collègues. Pour moi, n’attendons toujours pas la fonction publique et voyons autour de nous tout ce qui est exploitable. Je ne cesse jamais de le dire en famille, dans le village et dans ma communauté, car tout commence petit à petit. Je conseille aux jeunes du village d’exploiter les terres dont disposent nos parents.
Mehari : Parlez-nous un peu sur les potentialites dont dispose la région de Mopti
Dans ma région, on peut cultiver beaucoup de choses. Je suis très désolée de le dire quand je vois que Mopti dépend en légumes et tubercules des régions comme Sikasso et Ségou me fait mal. Je vois qu’on a toutes les potentialités pour cultiver ces choses que cela soit dans la ville ou dans les cercles. Je reconnais aussi les difficultés auxquelles les populations sont souvent confrontées comme la pénurie d’eau pendant la sécheresse. C’est pendant la période hivernale que tu peux cultiver tout ce que tu veux pendant que la sécheresse où le maraîchage porte de bons résultats que les gens ont du manque d’eau. C’est ce qui est d’ailleurs dommage. Par contre dans le cercle de Mopti, beaucoup de villages se situent au bord du fleuve et les villageois ont accès à l’eau. Il faut souligner que nous disposons des terres et qu’il faut créer des conditions pour travailler. Signalons aussi qu’à l’absence des clôture autour de la production, les animaux peuvent avoir facilement accès pour ravager toute la culture. L’urgence aujourd’hui malgré cette potentialité est de trouver la paix et la stabilité dans la région.
Mehari : Quels sont vos plaidoyers que vous lancez auprès des autorités, des partenaires, à tout le monde pour que la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble reviennent dans notre pays ?
Mon premier plaidoyer s’adresse aux partenaires du Mali d’aider la communauté de Mopti à avoir une cohésion sociale et réelle. Il s’agira de renforcer nos liens. Malgré que beaucoup de gens sont entrain de mener ce combat, la cohésion n’est toujours pas renforcée et les personnes demeurent toujours méfiantes. Il s’agit de demander à tous de nous aider à ramener cette cohésion que nous connaissons avant et qui était entre autres : les cousinages à plaisanterie, le vivre-ensemble qu’on a perdus. Je crois que partant de là, aider la jeunesse de Mopti, les femmes et les hommes à exploiter les potentialités que la région dispose. Un autre plaidoyer s’adresse à nos compatriotes qui ne peuvent pas retourner là où ils viennent, car on voit tout ce qui se passe aujourd’hui partout au Mali. Il faut que l’État anticipe le phénomène du terrorisme dans les autres zones du pays afin qu’elles ne tombent dans la même situation que le nord et le centre. Il faut aussi aider le centre à s’en sortir de ce problème sécuritaire et nos enfants à reprendre la voie de l’école.