Les systèmes alimentaires des régions de Tombouctou, Gao et Kidal, au nord du Mali, demeurent en forte crise à cause de la recrudescence de la violence et de l’impact de la sècheresse. La forte dégradation des moyens d’existence ruraux est en train d’exposer davantage les ménages déjà éprouvés à l’insécurité alimentaire. Tout cela engendre inévitablement d’importants mouvements migratoires.
Le cycle de la violence au nord du Mali
Depuis juillet 2023, les affrontements entre le Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le Développement (CSP) et l’armée malienne (FAMA), soutenue par les mercenaires russes du groupe Wagner, ont engendré un climat de terreur au nord du Mali. Le départ de la MINUSMA a exacerbé les incidents sécuritaires, avec l’implication croissante des groupes djihadistes. Les FAMA et la milice de Wagner commettent des atrocités telles que des exécutions et arrestations sommaires de civils, la torture et la destruction de l’infrastructure de base, des habitations et des stocks alimentaires. Ils violent les femmes. Ils bombardent les pâturages, minent les corps des victimes en les bourrant d’explosif et larguent des barils explosifs et des grenades défensives à fragmentation par drone ou hélicoptère sur les campements. Des méthodes qui visent à faire le plus de victimes possibles. Les espaces pastoraux, les campements des nomades, les sites de fixation de populations, les points d’eau ; sont constamment bombardés à l’aide d’hélicoptères et des drones. La peur se généralise et la population fuie en abandonnant tous les biens. Même les éleveurs nomades mauritaniens ont été victimes de cette barbarie.
Le 7 avril 2024, trois adolescents d’une même famille ont été les victimes tragiques d’une attaque de drone turc, utilisé par les FAMA et la milice russe, à Hassi Loumazil, à environ 200 km de Tombouctou. Une mère veuve et ses enfants, ainsi qu’un nourrisson, ont été assassinés, tandis que trois autres fils ont été grièvement blessés. Aussi dans la région de Tombouctou, le 13 mai, deux jeunes ont été sauvagement assassinés par des éléments de Wagner alors qu’ils se rendaient à la foire de Goundam avec leur cheptel.
Cette brutalité a poussé des centaines de milliers de personnes à fuir vers la Mauritanie, l’Algérie et le Niger, créant dans ces pays une pression supplémentaire sur les maigres ressources naturelles dans un écosystème déjà très fragile. Chaque mois, des centaines de réfugiés continuent d’affluer vers les camps de regroupement. Aujourd’hui le nombre des réfugies en Mauritanie est estimé à plus de 180000 personnes. Dépassant sa capacité de plus de 30 000 personnes, le camp de Mbera est désormais plus peuplé que la plupart des villes mauritaniennes.
La famine des civils comme arme de guerre
Les groupes armés au Mali recourent de plus en plus à des tactiques de blocus comme arme de guerre, visant des villes et des régions de plus en plus vastes, perturbant les économies locales et posant de sérieux problèmes d’accès aux organisations humanitaires déjà confrontées à de nombreuses contraintes en raison de la violence. Une famille d’éleveurs de l’est de Tombouctou migre avec son bétail et ses avoirs vers la Mauritanie. À Tombouctou, l’élevage de bétail constitue la première source de revenu et le principal axe de développement économique. Il faut agir rapidement pour éviter la crise alimentaire, tant pour les personnes que pour le bétail. Tant les groupes djihadistes que non-djihadistes ont récemment imposé des blocus sur les grandes villes du nord et les routes d’approvisionnement vers les pays voisins, tandis que des sièges à plus petite échelle persistent au centre du Mali.
En décembre 2023, le CSP a instauré un embargo total, érigeant des barrages routiers aux frontières nord avec la Mauritanie, l’Algérie et le Niger. Cela a entraîné des perturbations significatives dans les flux de marchandises, de bétail et de denrées alimentaires, affectant notamment la région de Tombouctou. Les prix ont flambé pour des produits de première nécessité tels que les pommes de terre, les fruits, les légumes, le thé et le lait en poudre, dont le demi kilo était passé de 1 000 à 3 000 francs CFA lors du blocus.
Les mauvaises récoltes et la hausse des prix
La faim dans les zones rurales de la région de Tombouctou est exacerbée par plusieurs autres facteurs. La
mauvaise pluviométrie pendant la saison des pluies a engendré des récoltes médiocres, affectant négativement les moissons avec des invasions de criquets et des animaux en quête de pâturages. La reprise des hostilités a d’ailleurs suscité la peur des paysans qui ont précipité la coupe du mil avant une maturation consolidée.
À peine un mois après sa récolte, le gros mil, l’une des principales céréales sèches de base, coûte 250 francs CFA le kilo, ce qui représente une hausse d’environ 20% du prix par rapport à la même période l’année dernière. Les récoltes des cultures de décrue autour des lacs à Tombouctou ont également été affectées, les superficies cultivables étant réduites en raison du faible niveau de remplissage.
Le bétail qui migre en masse
La dévaluation du cheptel sur les marchés, suite à l’insécurité, conjuguée à l’embargo et au manque de pâturage, a paralysé les activités des marchands de bétail, réduisant ainsi les échanges et les revenus dans la zone pastorale.
Cette situation pousse les éleveurs à hésiter à reconstituer leurs troupeaux, malgré le besoin pressant. Depuis la levée de l’embargo en février 2024, un mouvement massif du bétail vers la Mauritanie et l’Algérie a été constaté, entraînant une dégradation des pâturages et des difficultés alimentaires dans les zones d’insécurité.
La région du Hodh Chargui en Mauritanie, qui héberge des réfugiés et du bétail en provenance du Mali, est menacée par une crise de famine. La peur généralisée pousse les éleveurs à abandonner leurs animaux pour migrer vers les zones urbaines supposées plus sûres. Les fourrages de bonne qualité qui constituent la base de l’alimentation des ruminants sont quasiment absents en cette année 2024.
Ainsi, les éleveurs doivent souvent laisser leurs familles dans des camps de réfugiés et prendre des risques en cherchant des pâturages, alors que l’accès à l’eau devient de plus en plus difficile et de plus en plus cher. Face à cette crise, des mesures urgentes sont nécessaires pour sauver le cheptel concentré le long des frontières et fournir un complément alimentaire adapté pour éviter une catastrophe alimentaire pour les humains et les animaux. Pour les ménages de Tombouctou, l’élevage de bétail constitue la première source de revenu et le principal axe de développement économique. Il faut agir rapidement pour éviter une crise alimentaire grave pour les personnes et le bétail.
Appel à l’action
Utiliser la faim comme une arme de guerre est illégal au regard du droit humanitaire international. Les auteurs de ces crimes devront rendre compte de leurs actes et être traduits en justice.
Pour mettre fin à cette violence et à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali, il est nécessaire d’investir durablement dans les systèmes de protection sociale et les mécanismes de résolution des conflits.
Tant que le conflit perdurera et que la résilience des populations au changement climatique ne sera pas renforcée, la prévention de la faim restera un objectif hors de portée. Pour éradiquer la faim au Mali et ailleurs, il est nécessaire de protéger et encourager les activités agro-sylvo-pastorales paysannes et familiales. Ces activités sont une véritable aubaine pour les économies africaines. Elles sont également indispensables pour nourrir la population de manière durable, saine et résiliente face aux chocs climatiques.
Le Mali est souvent cité par la communauté internationale pour ses efforts de mise en œuvre des Directives volontaires du Comité de l’ONU pour la sécurité alimentaire mondiale pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers. La réforme du code foncier national que le pays a opéré il y a sept ans s’était amplement inspirée de ce cadre normatif. Cette réforme historique a permis aux paysans maliens d’obtenir de nouveaux droits coutumiers sur leurs terres traditionnelles et aux communautés rurales de bénéficier d’une stabilité économique indispensable.
Aujourd’hui, le Mali a une nouvelle opportunité de montrer son engagement en faveur des droits humains en appliquant les onze principes du Cadre d’action pour la sécurité alimentaire et la nutrition en période de crises prolongées. Ces principes constituent une boussole pour mettre en place des mesures visées à mettre fin à l’oppression, à l’inégalité et à l’injustice structurelles qui sont à l’origine de la faim et de la violence.
Article assez intéressant!
Je suis le chargé d’études du principal Think tank mauritanien, le centre Essahraa pour l’étude et la consultation. Nous travaillons depuis plusieurs années sur les questions géopolitiques, stratégiques et sécuritaires des pays du sahel, notamment le Mali, le Sénégal, le Niger, le Burkina et le Tchad. il serait peut être intéressant que l’on tisse une forme de collaboration afin de partager nos expériences sur les questions transversales de la zone sahel.
Merci