Propos recueillis par Mohamed Ag Ahmedou et Massiré Diop.
« L’hôtel Azalaï de Dakar sera ouvert cette année. Nous espérons en faire de même en Guinée Conakry en 2025. En 2027, nous serons au Niger et au Cameroun »
« Mon mandat à la tête du CNPM entamé depuis octobre 2022 sera celui du rassemblement et de la réconciliation du secteur privé »
Nous voulons faire le Mali un pays d’investissement aussi bien pour les Maliens que les Etrangers.
Nos universités sont remplies des jeunes qui apprennent des matières qui ne les amènent nulle part.
Le magnat des affaires, Mossadeck Bally, non moins PDG du groupe hôtelier a bien voulu accorder au site groupe Mehari-Consulting un entretien exclusif dans lequel il revient sur les principaux faits marquants de sa carrière d’entrepreneur et d’homme d’affaires prospère. Elu depuis octobre 2022, à la tête du Conseil National du Patronat Malien (CNPM), il est également revenu sur la crise qui a touché cette organisation et les perspectives envisagées pour réconcilier le secteur privé afin d’en faire un moteur de développement social et économique du Mali. Par ailleurs, il n’a pas manqué de rappeler les conditions qui ont conduit à l’échec des premières entreprises d’Etat tout en proposant des pistes de solutions pour que les jeunes entrepreneurs réussissent à s’en sortir.
Mehari-consulting : Qui est monsieur Mossadeck Bally? Faites-nous un portrait de vous en parlant de votre formation et de votre carrière.
Mossadeck Bally : Je m’appelle Mossadeck Bally, marié et père de quatre enfants, grand père de deux petites princesses. Je suis né à Niamey de parents maliens, mon père était installé au Niger où il exerçait son commerce. C’est de là que j’ai passé mes trois premières années d’école et c’est à partir du coup d’état de 1968 que mon père a décidé de venir s’installer à Bamako. J’ai continué mon cursus scolaire à l’école fondamentale de Missira 2 jusqu’au lycée technique de Bamako. Je me suis retrouvé à Marseille en France accompagnant ma tante et lorsque j’ai appris que le général Moussa Traoré décidé de fermer l’école que je suis resté en France pour passer mon baccalauréat. Après je me suis rendu aux États-Unis d’Amérique, plus précisément en Californie où j’ai fréquenté l’université de San Francisco dans la filière commerce. Après cette université, je suis rentré à Bamako pour commencer à travailler. Je suis d’une fratrie de quatorze (14) frères et sœurs et nous sommes originaires du petit village arabo-touareg situé à 250 km de la région de Tombouctou du nom d’Essakane. Mon père est né à Tombouctou et ma mère est issue d’ailleurs d’immigration marocaine, car son père faisait du commerce transsaharien. Il a pris une femme à Tombouctou et ayant eu des enfants dont ma mère. Quand je suis rentré au Mali, j’ai passé une dizaine d’années à travailler avec mon père et mes frères dans le commerce, notamment les produits de consommation au Mali mais aussi dans la sous-région.
A un moment donné, je me suis dit que je pouvais avoir plus d’impact économique et social. J’ai donc commencé à réfléchir sur une possible diversification, notamment dans l’activité industrielle. D’ailleurs ma première idée était de créer une usine à Sikasso, car cette région est une grande zone de production. Je me suis beaucoup intéressé à l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie. J’ai recruté un consultant pour l’étude de marché. Cette époque a coïncidé avec le programme de privatisation des entreprises de l’Etat comme l’hôtel de l’Amitié, le Kanaga de Mopti et l’hôtel Relais de Tombouctou. C’est là que j’ai eu l’idée de créer une société avec l’aide d’un consultant avec qui on a préparé une offre que nous avons soumis dans le cadre de l’appel d’offre de l’Etat. Notre offre a été retenue et on a acheté le Grand hôtel de Bamako. Nous l’avons rénové et mis sur le marché en février 1995. C’est comme ça qu’on a démarré avec le Groupe Azalaï. Dès le départ, ma vision était juste d’acheter un hôtel, de le rénover et de le confier à un gestionnaire à une marque internationale. On nous avait dit que le tourisme et l’hôtellerie n’étaient pas pour les Africains mais plutôt pour les Européens, les Asiatiques ou Américains. Notre vision était aussi de montrer que les Africains peuvent aussi mieux faire dans ce secteur que les Occidentaux. Lorsque le Grand Hôtel a été un succès, l’Etat nous a vendu le terrain où nous avons construit l’hôtel Salam. En 2004, nous sommes sortis de la frontière du Mali. Nous avons participé à des appels d’offre au Burkina Faso, en Guinée Biseau, au Bénin, en Mauritanie. Nous avons gagné ces appels d’offre et nous avons rénové les hôtels. À partir de 2016, nous avons commencé à acheter des terrains pour y construire des hôtels. C’est ce que nous avons fait à Dakar, Abidjan, Niamey et Douala.
L’hôtel Azalaï de Dakar sera ouvert cette année car les travaux sont presque finis. Nous espérons que l’hôtel de la Guinée Conakry sera ouvert en 2025 et ceux du Niger et Cameroun prévus en 2027. Je suis un entrepreneur qui a presque quatre décennies d’expériences dans la gestion des entreprises, dans la création des valeurs et de l’emploi. J’ai passé une dizaine d’années dans le négoce où j’ai beaucoup appris au côté d’un grand entrepreneur, un grand coach qu’est mon père Sidi Boubacar Bally. L’école m’a préparé mais c’est sur le terrain aux côtés de ce grand homme que j’ai appris. Après je me suis lancé dans le secteur de l’emploi et durant trente ans, nous avons créé presque quatre mille (4000) emplois directs et indirects. Au départ, c’était le Grand hôtel de Bamako et maintenant nous avons onze (11) hôtels dans sept (7) pays ouest-africains et nous continuons d’en créer. Aujourd’hui, après trente ans, je suis totalement satisfait de l’impact économique et social que je me suis fixé. Je me sens épanoui et je pense que je suis beaucoup plus utile dans mon pays et sur le continent africain.
Mehari-consulting : Quelles sont les leçons que vous avez apprises au cours de votre parcours ?
Mossadeck Bally : Beaucoup de leçons. Comme je l’ai dit, j’ai eu le privilège d’être aux côtés d’un grand entrepreneur avec qui j’ai appris beaucoup de choses. Dans la vie, la vraie richesse n’est pas matérielle, mais plutôt l’éducation qu’on reçoit à la maison, dans le quartier ou dans la communauté. La vraie richesse, c’est l’instruction et la formation familiale et communautaire très solide basée sur nos valeurs ancestrales telles que : la solidarité, l’abnégation, la probité, l’honnêteté… J’ai été élevé dans le respect de ces valeurs. Ensuite, j’ai eu la chance d’aller à l’école au moment où le système éducatif était d’une grande qualité. C’était le meilleur système au monde. Pendant mes trois premières années de l’école à Niamey, mon père m’avait inscrit à l’école française « la fontaine ». Arrivé à Bamako, j’ai fait tout mon cursus scolaire dans les écoles publiques. Quand j’étais au lycée technique, je voyais les Etrangers de toutes nationalités qui venaient apprendre à l’ECICA, l’ENI, l’IPR de Katibougou… On avait des écoles de grande qualité, surtout l’école de Médecine qui était l’une des meilleures en Afrique. Je dois beaucoup à mon pays pour cet enseignement de qualité. Donc la vraie richesse, ce sont ces valeurs familiales, l’éducation familiale basée sur les valeurs ancestrales et la formation. J’ai bénéficié de tout ça et j’ai essayé d’inculquer ces mêmes valeurs à mes enfants. En tant qu’entrepreneur, ce que j’ai appris est que pour réussir, il faut avoir une vision et une stratégie pour la développer. Il faut se faire entourer des meilleurs. Je ne suis pas hôtelier car je n’ai jamais géré un hôtel de ma vie. Il faut être à l’écoute des professionnels. Quand j’étais à l’université, je me suis spécialisé en Finances et j’ai toujours compris qu’à chacun son travail et ses compétences. J’ai la compétence pour investir, pour aller chercher de prêts et de construire des hôtels, mais je n’ai pas les compétences de les gérer. Pour réussir, il faut se faire entourer des meilleurs. Ce que j’ai appris aussi, pour réussir, il faut penser à quelque chose de grand et de ne pas rester seul. Il faut constituer une équipe solide, homogène, partageant votre vision et avoir des gens qui ont les compétences que vous n’avez pas. J’ai appris que dans la vie, rien de pérenne ne se réalise dans le court terme. Je fais beaucoup de coaching et de monitoring dans le domaine de l’entrepreneuriat. Je leur dis que « si vous vous lancez dans l’entrepreneuriat, il faut que vous soyez patients et ayez la passion, car sans ces conditions, on ne saurait réaliser ». Ce sont des leçons que j’ai tirées de ma vie, de mon éducation, de mon parcours entrepreneurial et de mon parcours de citoyen.
Mehari-consulting : Vous venez d’avoir 30 ans à la tête du Groupe Azalaï. Parlez-nous de ces trois décennies ?
Mossadeck Bally : Ces 30 ans ont été passionnants et j’ai beaucoup appris. D’abord, il faut avoir confiance à soi-même. Je vous raconte une anecdote. Nous avons acheté le Grand hôtel de Bamako grâce à l’accompagnement d’un grand Monsieur feu Bréhima Sylla (Paix à son âme) qui était Président Directeur Général de la Bank Of Africa Mali. C’est grâce à lui que nous avons pu acheter l’hôtel et c’était à l’époque où feu Soumaïla Cissé était Ministre de l’Economie et des Finances. Je n’avais pas de fonds et je suis allé voir Bréhima Sylla qui m’a reconnu en disant ceci : « Mon fils vous venez des USA et je sais comment vous travaillez. Je suis persuadé que tout ce que vous allez entreprendre va réussir». C’est ainsi qu’il m’a remis un chèque de 500 millions de FCFA pour acheter l’hôtel. Aujourd’hui, 30 ans après, nous avons pu montrer et développer notre capacité dans l’hôtellerie. Nous avons un service qui est en compétition avec les plus grandes chaînes internationales et dans tous les pays où nous sommes.
En tant qu’entrepreneur africain, le message que j’adresse aux jeunes c’est d’avoir confiance en soi et de se mettre en tête que tout est possible. Il n’y a pas quelque chose qui est possible pour les Européens, les Asiatiques et qui le soit pas pour les Africains. C’est le grand enseignement que je tire de ces 30 ans à la tête du Groupe Azalaï. Pour réaliser de belles choses, il suffit d’avoir de la vision, de la stratégie, une équipe, de la confiance en soi-même, d’être patient, résilient, simple et humble. Beaucoup d’entrepreneurs africains ont réalisé de grandes choses. Quand j’ai commencé à travailler en 1985, il y avait deux banques françaises à Bamako mais aujourd’hui il y en a beaucoup. On a beaucoup de banques africaines, beaucoup de compagnies d’assurance gérées par des Africains. Tout est possible, quand on a la qualité.
Mehari-consulting : Avez-vous des regrets durant ces trente ans ?
Mossadeck Bally : Quand je regarde mon parcours, je ne peux dire que je regrette quelque chose. En tant que chaîne hôtelière, je pense qu’il nous est arrivé de faire de mauvais choix dans certains pays, c’est-à-dire qu’on est parti trop tôt dans certains pays. On devait attendre avant d’y aller. Dans l’entrepreneuriat, il y a des choses qui arrivent et on ne peut pas réussir tous les business-plans, tous les choix ne sont pas judicieux. En tant que Président du Groupe Azalaï hôtel et avec l’expérience que j’ai aujourd’hui, je pense que si on était 15 ou 20 ans en arrière, on ne serait allé dans certains pays. Sinon à titre personnel, sincèrement je n’ai pas réellement de regrets. Je suis complètement épanoui dans ce que je fais. J’en suis entièrement satisfait de mon parcours académique et entrepreneurial.
Mehari-consulting : Comment s’est passé votre élection à la tête du Conseil National de Patronat du Mali ?
Mossadeck Bally : Au niveau du Patronat ou aux chambres consulaires, certains me demandaient pourquoi je ne m’intéresse pas à la présidence du patronat. Je profite de cette occasion pour donner un autre conseil aux jeunes, car une fois que vous entreprenez seulement, votre secteur vous impactera durant toute votre vie privée. Cela peut amener même des soucis dans votre foyer. Je suis toujours resté en marge même si nous avons toujours payé nos cotisations au Conseil National de Patronat du Mali. Personnellement, je ne me suis jamais intéressé aux élections. Des chefs d’entreprises sont venus me voir, dont un de mes tontons Soya Golfa qui a été aux côtés de mon père à la Fédération Nationale des Employeurs du Mali. Ils m’ont expliqué que notre faîtière traverse une crise profonde après une élection qui a opposé deux candidats à la présidence n’ayant pas pu s’entendre. La justice a rendu sa décision et finalement il y a eu une administration provisoire qui a été mise en place pour régler le problème. Ils m’ont fait une proposition et après réflexion, j’ai fini par accepter. Je me suis dit que c’est ma famille professionnelle. Si je suis arrivé à ce niveau, je le dois à mon pays. Ensuite, au niveau du Groupe Azalaï, je suis de moins en moins impliqué. J’ai réussi à créer des équipes autonomes et compétentes qui s’occupent du quotidien. J’avais également envie d’apporter quelque chose au secteur privé de mon pays. J’ai donc donné mon accord et c’est comme ça que j’ai été choisi comme tête de liste et nous sommes allés aux élections, le 1er octobre 2022. A l’issue de ce scrutin, notre liste a reçu plus de 90 voix. J’ai ainsi été élu Président du Conseil National de Patronat du Mali. Nous sommes en train de prendre en main petit à petit notre organisation.
Mehari-consulting : Quelles sont les actions que vous avez prises pour réconcilier les acteurs évoluant dans votre secteur ?
Mossadeck Bally : Dès le départ, dans mon discours d’acceptation, j’ai souhaité que notre bureau soit celui du rassemblement et de la réconciliation du secteur privé. Je ne cache pas que pendant la crise, chaque fois que je voyageais pour aller dans d’autres pays, les gens me disaient ne pas comprendre comment les chefs d’entreprises se bagarrent. J’avoue que j’étais très mal à l’aise. C’est la raison pour laquelle dans mon discours d’acceptation, j’ai vraiment insisté sur la nécessité de rassembler notre famille professionnelle. Je suis toujours dans cette posture et j’ai entrepris des démarches pour rencontrer les anciens Présidents. Dans les statuts du CNPM, tous les anciens Présidents sont des Présidents d’honneur. J’ai déjà rencontré le Président Soya Golfa, le Président Sidibé et il me reste maintenant que les Présidents Mamadou Sinsy Coulibaly et Amadou dit Diadié Sankaré. Nous voulons rassembler et réconcilier afin que cette crise soit derrière nous. Nous voulons faire le Mali un pays d’investissement aussi bien pour les Maliens que les Etrangers. On a le même objectif et on doit aller dans le même sens. Je profite de cette occasion pour lancer un message que nous devons nous unir pour être fort. Le CNPM est un syndicat et notre mission est de faire du plaidoyer pour relancer l’économie de notre. C’est pourquoi on a besoin de tout le monde. Je ne désespère pas de fédérer toutes les énergies y compris nos deux anciens Présidents.
Mehari-consulting : Quelle est votre analyse sur les acquis réalisés dans le secteur du développement industriel de notre pays de 1960 à nos jours ?
Mossadeck Bally : Le premier régime a beaucoup fait dans les questions d’ordre économique dirigé par l’Etat. C’est l’Etat qui faisait tout et c’est dans ce cadre que nous avons eu toutes ces usines telles que : COMATEX, HUICOMA, SOMIEX… Les dirigeants de l’époque étaient des patriotes, des nationalistes, intègres et compétents. Après ces choix économiques sont devenus défaillants à cause de la mauvaise gestion de ces sociétés d’Etat. Je pense que l’Etat n’est pas fait pour gérer les usines, les aéroports… Son rôle est de faire en sorte justement qu’il y ait un maximum d’investissement en mettant en place un environnement sain, une ressource humaine de qualité, le financement et la sécurité. À cette époque, il n’y avait pas de secteur privé si ce n’était le négoce. Il aurait fallu rapidement privatiser ces usines qui étaient gérées par des fonctionnaires qui n’avaient pas la compétence. La vie de l’entrepreneur privé repose sur son entreprise et il est obligé de bien gérer pour réussir. Cependant, quand on donne la gestion des entreprises aux fonctionnaires qui n’ont aucune compétence en la matière, cela pourrait entraîner la ruine de la société et qui n’impactera point ces fonctionnaires qui seront appelés un jour à d’autres postes. Au début, c’était des choix de l’Etat car il n’avait pas aussi le choix parce que le tissu économique privé était très faible. Ces dirigeants étaient obligés de passer par ce choix. Aujourd’hui, je rends hommage à ces régimes qui ont vraiment beaucoup investi. On ne peut pas développer un pays sans industrialisation. Notre pays importe tout et rien n’est produit ici. Ce n’est pas possible de développer un pays comme ça. On a coutume de dire que le Mali est un pays de commerce mais ce commerce d’importation ne développe pas un pays. Le commerce qui développe est de fabriquer localement pour exporter. Nous pouvons fabriquer beaucoup de choses. Nous sommes producteurs de coton et de l’or. Sur le plan cheptel, notre pays occupe une place importante. C’est pour dire que nous Maliens y compris les autorités, devons nous intéresser à l’industrialisation. Il faut de la sécurité et de la stabilité politique qui constituent les deux critères essentiels pour attirer les investisseurs étrangers au Mali. Il y a ensuite cinq facteurs qui font d’ailleurs l’objet de notre plan quinquennal au sein du Patronat. Le premier facteur passe par l’énergie, car on ne saurait accéder à l’industrialisation sans elle. Nous manquons de l’énergie. Le deuxième facteur repose sur les ressources humaines de qualité. Au Mali, il y a malheureusement l’inadéquation entre la formation donnée aux jeunes et l’emploi. Nos universités sont remplies des jeunes qui apprennent des matières qui ne les amènent nulle part. On a plus de 80.000 étudiants dont 90% apprennent des choses qui ne les mèneront nulle part. Ils deviennent des futurs chômeurs. Il faut corriger cette situation pour qu’on ait plus de formation pratique, technique et professionnelle. Le troisième facteur porte sur les infrastructures. Nous devons développer nos infrastructures, des zones industrielles, des aéroports… Nous avons aussi un problème d’injustice fiscale car malgré la prolifération des entreprises, peu d’entre elle s’acquittent de leurs obligations fiscales. Il faut faire en sorte que chaque contribuable puisse être amené à payer ses impôts en fonction de ses revenus. On a un secteur informel totalement non maîtrisable et le pays ne peut pas se développer dans cette situation. Le cinquième facteur est le manque de financement pour investir. Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunes qui veulent devenir des entrepreneurs, car ayant compris que l’Etat ne peut pas créer des emplois. Quand ils commencent à entreprendre, ils sont confrontés au manque de financement. Nous avons beaucoup de défis à relever sur ce plan. Nous assistons à la corruption à ciel ouvert, le manque de nationalisme et de patriotisme à tous les niveaux que ce soit à l’Etat, la société civile, le secteur privé, etc. Nous sommes dans un pays où chacun ne pense qu’à lui-même. Le pays disparaît au profit des intérêts personnels. L’Etat doit faire des appels d’offre afin de bien gérer nos services publics, car nous il y a trop de laisser-aller. Le problème du Mali repose sur une question de gouvernance. Si on arrive à mettre un frein à la corruption, nous parviendrons à résoudre notre déficit budgétaire, car on sait que tout est surfacturé. En tant que Président d’une faîtière du secteur privé, je ne peux que dénoncer certaines pratiques mafieuses qui se passent entre les fonctionnaires et certains acteurs du privé. Au temps de Modibo Keïta ou de Moussa Traoré, il n’y avait pas un tel degré de corruption et d’impunité. De mars 1991 à nos jours, les gens n’ont plus peur de voler, c’est même devenu un phénomène de société. Quand tu occupes un poste de responsabilité et que tu ne réalises pas grand-chose dans ta vie, tu seras traité de maudit et de tous les noms d’oiseau. Notre rôle est de dénoncer ces pratiques mafieuses qui pillent l’Etat. Sincèrement, on a tous pensé que la démocratie et le multipartisme allaient nous apporter plus de développement. Après plusieurs années de pratique, je ne serai le seul malien à juger le bilan décevant. Certains nous diraient qu’on a la liberté, les médias, etc. mais je leur dirais que nous avons perdu l’école, l’armée, etc. Nous avons perdu ce qui fait le socle de notre société à savoir nos valeurs ancestrales. Ces trente ans de démocratie nous ont conduits à l’échec. Les échecs sont utiles dans la vie, voire indispensables. Ce sont parfois des opportunités à condition d’en prendre conscience. Il est grand temps pour les Maliens de tirer profit de ces enseignements. Il s’agit de voir ce qui n’a pas fonctionné et de rebâtir un nouveau Mali fondé sur la valeur du travail.
Mehari-consulting : Pensez-vous faire une carrière en politique ?
Mossadeck Bally : S’il s’agit d’aller vers la compétition électorale, je dirais que non car je ne l’envisage pas pour le moment. S’il s’agit de participer aux débats, dénoncer à ce qui ne fonctionne pas, demander une meilleure gouvernance, interpeller nos gouvernants, que ce soit dans le secteur public ou privé, je dirais que je le fais depuis quelques années. Je n’envisage de participer à aucune compétition électorale en ce moment parce que je m’occupe du Conseil National de Patronat du Mali d’ici les 5 prochaines années. En compagnie de mes camarades du bureau, nous comptons faire un bon travail. Ce qui est sûr, il faudrait impérativement qu’on ait une autre façon de gérer ce pays.
Mehari-consulting : En tant que Président du Conseil National de Patronat du Mali, quelles sont vos perspectives ?
Mossadeck Bally : La première mission urgente est d’abord de réconcilier le secteur privé pour que cette crise soit totalement derrière nous. Je ferai en sorte que tous les regroupements au sein du Patronat soient sur la même longueur d’onde, y compris les deux anciens Présidents. Ensuite, nous envisageons de renouer le dialogue avec les autorités politiques du pays, mettre sur la table des dossiers économiques, des dossiers de gouvernance et des dossiers politiques et de leur dire ce que nous pensons de la gestion de notre pays en toute franchise, sans intermédiaire et sans langue de bois. Nous leur dirons que nous sommes une faîtière citoyenne et nous voulons que les choses changent. Nous voulons que les choses bougent. Nous voulons de la sécurité, de la création d’emplois, du développement afin que les jeunes ne meurent plus dans la Méditerranée, qu’ils n’intègrent plus les mouvements terroristes à cause de la pauvreté. Notre défi est d’avoir des perspectives que le pays a perdues. Nous allons être des interlocuteurs honnêtes envers les autorités pour le changement de paradigme et le changement de gouvernance car il faut sauver ce pays.
Mehari-consulting : Quelle est votre vision sur la responsabilité sociétale en faveur du développement durable ?
Mossadeck Bally : C’est un point très important pour nous en tant qu’entrepreneur. On a tout un programme et on a même crée une fondation afin de venir en aide aux plus démunis de la société. Nous allons aussi le promouvoir au Patronat en incitant toutes les entreprises, celles qui ont les moyens financiers de mener ces actions qui pourraient aider les handicapés, coacher et former les jeunes, avoir le programme dans la protection de l’environnement, ce qui constitue d’ailleurs un souci majeur pour nous les Africains. L’environnement est tellement important qu’on demande aux entrepreneurs de le mettre dans leur programme d’investissement, d’inclure les énergies renouvelables.
Mehari-consulting : Votre mot de la fin sur la paix et le développement au Mali.
Mossadeck Bally : Je vous remercie et c’est tout un plaisir d’échanger avec les journalistes, car vous jouez un rôle très important dans la société. C’est vous qui informez et qui sensibilisez les populations. Votre rôle dans la société est extrêmement important car vous risquez souvent vos vies dans l’exercice de vos missions. C’est un métier qui demande du courage, de la détermination, de l’engagement et de l’abnégation. Il faut rappeler que rien n’est possible dans la vie sans la paix et la stabilité. Le Mali souffre et mon plus grand souhait est que notre pays revienne comme avant, c’est-à-dire qu’on pourrait prendre un jour le bateau pour aller à Tombouctou ou partir à Ménaka par voie terrestre sans problème. J’en suis sûr que ça ira un jour. Nous devons explorer toutes les pistes qui peuvent nous ramener à la paix. Aujourd’hui, il y a des militaires qui sont au pouvoir et qui sont en train de reconstruire l’armée. C’est une très bonne chose. L’armée doit être construite pour qu’elle puisse occuper petit à petit le terrain. Il faut nouer le dialogue parce que ce que nous connaissons au Mali c’est une guerre asymétrique qu’aucun pays ne éradiquer uniquement par les armes. Il faut que les Maliens se parlent. Cet échange est important y compris envers ceux qui ont pris les armes contre la République. Toutes les recommandations issues de la Conférence d’Entente Nationale ou du Dialogue National Inclusif ont prévu de dialoguer avec les chefs djihadistes qui sont des Maliens. Mon dernier message est que le pays retrouve la paix, la sécurité, la tranquillité et le vivre-ensemble. Je veux que le Mali soit un pays pacifique du nord au centre pour que nous les entrepreneurs ou encore les jeunes entrepreneurs puissent développer les projets, créer des emplois, notamment dans l’agriculture. Il faut que le gouvernement, la société civile, le privé, etc. tout le monde doit s’impliquer dans la recherche de solutions à ces problèmes. Cela passe aussi par la reconstruction d’une armée républicaine, capable de sécuriser l’ensemble du territoire national. Par rapport au développement, je reste convaincu que la seule voie est d’industrialiser le Mali, de transformer toutes les matières premières, surtout dans le secteur agricole, car le Mali est une puissance agricole. Pour développer le Mali, il faut qu’on ait une économie extravertie.