Mali : Culture : Adama Traoré, le parcours exceptionnel d’un grand monument de la culture

La culture qui constitue l’un des secteurs du développement du pays traverse depuis des années de difficultés pour plusieurs causes. C’est dans cette dynamique que le service média du groupe « Mehari-consulting.com » et Mehari-Post est allé à la rencontre d’un grand baobab de la culture malienne, doté d’une riche carrière et d’un parcours exceptionnel. Il s’est consacré toute sa vie pour rehausser l’image de cette culture à travers son talent, son savoir-faire et son expérience. Adama Traoré, puisqu’il s’agit bel et bien de lui, et qui n’est plus à présenter dans le milieu culturel du pays. Les échanges ont porté entre autres sur son parcours, sa vision sur le secteur culturel du pays, les faits qui l’ont profondément marqué dans sa carrière, les difficultés du milieu culturel, en passant par ses conseils pour la jeune génération. Lisez plutôt :

1-Mehari : Déclinez votre identité ?

Je m’appelle Adama Traoré, Président de l’Association culturelle Acte Sept, comédien, auteur, metteur en scène et acteur culturel.

2-Mehari : En tant qu’un grand monument de la culture malienne, parlez nous un peu ce que vous avez réalisé durant votre carrière et comment vous voyez le secteur culturel au Mali ?

Il faut voir les différentes phases de ma carrière. Après ma formation à l’Institut National des Arts (INA), je me suis retrouvé comme jeune fonctionnaire, animateur socioculturel dans les régions du nord du Mali. J’ai été rappelé plus tard au niveau du théâtre national. Après avoir travaillé au niveau du théâtre, cela a coïncidé avec la période des effervescences. Je me suis donc retrouvé à l’INA comme Professeur. Je peux dire que je suis père fondateur de la compagnie de théâtre Nyogolon au Mali. Nous avons commencé et nous étions au nombre de quatre personnes à l’époque. Au niveau du groupe Nyogolon, on avait crée une coopérative autour du tracte, et c’était la première association que nous avions créee, qui était la troupe de recherche d’animation et de communication théâtrale. C’était sous la deuxième République et on nous a refusé carrément le récépissé. Avec l’avènement de la démocratie, j’ai crée Acte Sept et j’ai eu le récépissé le mois de février 1994. Immédiatement j’ai mis en place le festival du théâtre des réalités qui se faisait uniquement à Bamako. Je l’ai décentralisé à Sikasso. J’ai fait beaucoup de travail au niveau culturel. J’ai animé un atelier à Mopti en 1989 qui a donné naissance à la troupe de Mossinkoré et de Morepa. J’ai fait un atelier à Kayes dans le cadre du jumelage qui a donné de grands acteurs culturels. Avec le festival des théâtres et réalités, j’ai rencontré les musiciens qui se nommaient à l’époque Azawad. Quand ils sont arrivés ici, on les a conseillé de prendre le nom Tinariwen. Après avoir voyagé sur Angers, que l’idée du festival touareg est venue et la première édition a eu lieu à Essouk, puis à Essakane.

C’est quelque chose que je peux dire que j’ai réalisé dans ma carrière en 1999. Avec le festival aussi, j’avais crée la coalition malienne pour la diversité culturelle, car cela me semblait intéressant. Nous essayons de créer cette diversité. Je crois qu’il y’a l’unicité de la République, mais si la République ne peut pas me reconnaître en tant que Senoufo, en tant que Tamashèq, Sonrhaï ou autres ethnies, il y a un problème. C’est parce que dans ma spécificité de reconnaître qui va faire en sorte que la nation est en danger plutôt que de vouloir dire aux gens.

L’unité se fait avec des particularités. C’est dans ce cadre que j’ai mis en place cette coalition pour la diversité culturelle. Je l’ai fait dans toutes les capitales régionales et nous avons fini à Bamako. C’est quelque chose que j’ai réussie en tant qu’acteur culturel. En tant qu’acteur culturel, je me suis dis que la décentralisation aboutit à la régionalisation. J’ai essayé de prendre un espace de préfiguration qui est la région de Sikasso, et qui était en son temps constituée de sept (7) cercles. J’ai été dans chacun des ces cercles où j’ai réuni des acteurs culturels au sens large du terme et on a consacré des journées pour débattre les problèmes qui sont liés à la culture de ces localités à savoir : Quelles sont des solutions que nous pouvons apporter ? C’est à partir de là qu’on a mis des plans d’actions et on a mis des élus au niveau des bureaux.

Quand j’ai fini tous ces parcours des sept (7) cercles de la région de Sikasso, j’ai pu mettre en place un circuit pour que chaque mois nous puissions mener des spectacles dans ces cercles, aussi aider les artistes sur place pour faire des créations. J’ai dénommé ce programme « Sirabo » en bambara qui signifie « tracer la route » en français. Pour moi, il faut mettre en place des mécanismes pour créer un marché national pour la culture.

Quand j’ai réfléchi ce travail, je me suis rendu compte qu’il fallait que j’ai un parc de transport autonome pour travailler la nuit. Il fallait avoir un groupe électrogène dans les localités où il n’y a pas de lumière, parce que l’un des enjeux pour moi était que les spectacles que je fais à Bamako soient vus dans les mêmes conditions au niveau de ces cercles. J’ai eu à faire des publications, c’est à dire publier un livre, un répertoire de plasticiens du Mali, un répertoire sur les instrumentistes traditionnels
du Mali ; organiser un séminaire par rapport à l’espace, parce qu’on a souvent oublié que si on parle du « Rail band » ou « les Ambassadeurs » , c’est parce qu’il y avait l’hôtel buffet, l’hôtel de la gare, ou le motel. Le spectacle vivant ne peut pas se développer sans un espace. Il faut un espace pour répéter le tout. Pour le 3ème programme du Président Modibo Keïta, en 1966, il était question de faire 366 maisons de jeunes à travers le Mali. Il a été arrêté malheureusement et il y a eu un moment dans l’histoire où on a vu le mouvement hip-hop, le RAP qui a pris un essor formidable parce qu’il y avait la maison de Luxemburg.

J’ai organisé un séminaire sur la réflexion des espaces pour tout, parce que traditionnellement, quand on arrive dans nos villages, on trouve des places réservées aux activités artistiques et culturelles, où les gens se retrouvent. Aujourd’hui quand on construit les nouvelles cités des logements sociaux comme ATTbougou, on ne pense pas la place de l’école, la place pour le marché, la place pour la mosquée, ni un espace pour les jeunes. J’ai organisé un séminaire en 2005 pour montrer que ces espaces sont indispensables dans l’urbanisation de nos cités.

Si on n’a pas de place pour tout ça, les gens seront obligés de barrer les routes pour prier, de barrer les routes quand il ya du deuil, de barrer les routes pendant les mariages… Il faut donc qu’on anticipe ces phénomènes. On nous parle aujourd’hui de nos anciennes cités comme Tombouctou, Djenné, c’est parce qu’on avait prévu des espaces où les gens se rendent. J’ai organisé un séminaire sur comment mettre en place une stratégie de création de politique culturelle. Aujourd’hui c’est un acronyme que le Mali avec 703 communes conçoit la politique culturelle dans un ministère qui devient une camisole pour tout le monde. Il faut renverser la pyramide, il faut repartir sur les bases que dans les différentes communes qu’il faut mettre en place de politique culturelle au niveau du cercle, au niveau de la région avec les maillages et les savodages de la décentralisation. Après, pour qu’on puisse arriver à dire que nous avons l’organe de la presse nationale, quel est le quota qu’on va réserver dans les émissions culturelles ? Aujourd’hui ceux qui décident et qui auront la primauté sur la télévision nationale sont les télénovelas qui gênent tout le monde. Il faut revoir ce programme. Voici toute proportion gardée et avec toute modestie de ce que j’ai fait pour la culture.

3-Mehari : Après avoir fait un riche parcours, quelles sont les différentes difficultés que vous avez rencontrées ?

La politique culturelle du Mali se caractérise par des manques. Il n’y a pas de mécanismes au niveau national pour aider la création. C’est le devoir de l’État républicain de mettre ces mécanismes pour aider la création, comme aux USA, et dans d’autres États européens. Il y a des mécanismes qui sont mis en place pour aider la diffusion, il faut l’image ou la culture du pays qui est considérée à des anglosaxons comme le « Soft Power ». C’est de ça aussi l’image de l’État. C’est cette image d’un État apaisé, d’un État où il y a le vivre-ensemble qui fera que les gens vont venir visiter et investir. Aujourd’hui les artistes maliens, beaucoup de nos jeunes n’ont vu nos artistes qu’à la télévision. Ils ne peuvent pas aller à l’intérieur parce qu’il n’y a pas d’infrastructures. Nous avons connu 3 grandes phases de politique culturelle : la 1ère avec la première République qui a été portée sur les activités culturelles, la semaine nationale, la création de l’Institut National des Arts (INA), les orchestres nationaux, le balai malien…Cette semaine nationale tirait sa source dans les villages, les quartiers….On n’a plus connu de spécificité dans notre politique culturelle jusqu’à l’avènement de la 3ème République avec le Président Alpha Oumar Konaré qui va amener une spécificité dans la politique culturelle à travers l’art monumental. Malheureusement cette politique n’a pas été suffisamment communiquée aux maliens. Il y a une 3ème politique culturelle imaginée par le Président ATT, qui a été une politique axée sur les infrastructures. Il va décider de créer dans toutes les capitales régionales, des salles de 3000 ou de 1000 places. Malheureusement, on n’a pas associé les techniciens à la construction de ces salles. Donc ce qui fait que cela manque de certaines praticabilités. Voici rapidement l’évolution de la politique culturelle du Mali. Nous avons fait copier-coller et nous en avons pris avec la France. On n’a pas suffisamment les ressources humaines et financières pour faire le travail.

4-Notre pays traverse une grave crise qui a profondément impacté tous les secteurs de l’économie malienne, notamment celui de la culture. En tant qu’acteur culturel, qu’avez-vous fait pour surmonter cette épreuve ?

Aujourd’hui en toute chose, il faut essayer de voir le côté positif. La crise sécuritaire du Mali, la crise sanitaire du monde devaient nous amener à réfléchir et à nous dire des choses. Tous les grands touristes venaient. On a un artisanat très compétitif, on a de très bons artistes. Qu’est ce qui empêche aujourd’hui le gouvernement malien à travailler pour créer des boutiques. Il faut qu’on crée des boutiques virtuelles où on peut vendre le cinéma malien, l’artisanat malien… Culturellement nous avons des richesses mais pas des outils. Malheureusement qu’est ce que nous avons fait de nos contes ? les légendes ou encore les mythes? Je pense qu’aujourd’hui on a la SMDT. Nous n’avons aucune protection sur nos productions. Il nous faut une vision, une réflexion. Aujourd’hui nous avons un pays très grand. On a des paysages magnifiques. Il faut que nous travaillions sur la dessus pour mettre en valeur notre désert. C’est les enjeux que nous devons aujourd’hui mettre en place.

5- Mehari : Pour les relations culturelles interrégionales du Mali, pouvez-vous nous raconter quelques anecdotes qui vous ont marqué ?

J’en ai quelques unes. En ce qui concerne les Tinariwen, je les ai fait venir à Bamako, je leur ai dis que dans six (6) mois qu’ils seraient à Angers, en France. Je leur ai dis qu’ils allaient se préparer car il va falloir les obtenir des visas. Cependant, je n’avais pas pensé qu’ils n’avaient pas de cartes d’identités. Ils devaient prendre l’avion pour partir. Sur les 9 personnes, il n’y avait que 3 qui avaient des cartes d’identités. Je les ai amené à Fana chez mon ami pour fabriquer les cartes d’identités, et venir faire les passeports et rentrer en catastrophe à l’Ambassade de France avec tout le programme. Le consul donne le visa et on les embarque. C’était Bamako-Bruxelles, Bruxelles-Nantes. On m’a appelé pour me dire qu’ils voient leurs bagages circuler et ils ne sont pas là. Je suis allé voir le Professeur Aly Nouhoum Diallo qui était président du parlement malien à l’époque, pour l’expliquer la situation. Il m’a donné le numéro de l’ambassadeur du Mali à Bruxelles qui était à l’époque Ahmed Mohamed Ag Hamani [ancien premier ministre aux premières heures du 1er mandat d’Amadou Toumani Touré de 2002 à 2004]. Je l’ai appelé tardivement dans la nuit sans me rendre compte du décalage horaire pour l’expliquer toute la situation. Il m’a fait savoir pourquoi je n’ai pas pris les citoyens de Bamako au lieu d’aller prendre ceux du nord. Le secrétaire de l’ambassadeur m’a rassuré qu’ils seront libérés.

Une autre anecdote m’a marqué lorsque j’ai décidé de m’y rendre à Kidal avec ma Sotrama [nom du minibus de transport en commun dans la capitale malienne, Bamako en langue Bambara ]. Arrivé à Gao, le directeur régional de la culture m’a proposé de louer un véhicule 4X4 ou si je n’ai pas les moyens, qu’ils vont louer pour que je fasse le voyage. Je leur ai dis que je n’ai pas besoin du confort et j’aimerais aller avec mon véhicule. On est parti. À l’entrée du Tilemsi, mon garçon avait dégonflé un peu les pneus et on partait sur le sable. J’aurais pu quand même parvenir à Kidal. Mon ami a dit à tout le monde que je suis parti en Sotrama. C’était le moyen le plus adapté. C’est cette idée du Mali que je voulais continuer. Si je partais avec 4X4, qu’est ce qu’ils vont penser de moi ? À quoi sert de masquer des réalités ? Je suis parti la bas avec mes réalités pour leur apprendre, et apprendre aussi à leur côté.

6-Mehari : La jeunesse malienne, sahélienne est beaucoup plus politisée qu’active vers les besoins nécessaires d’urgence à la survie. Qu’en pensez-vous ?

La jeunesse pour moi est rentrée dans le cycle de la facilité. On veut tout avoir tout de suite et sans fournir d’efforts. Les réseaux sociaux sont devenus les panachés. Cette jeunesse qui n’a pas peur d’affronter le Sahara, qui n’a pas peur d’affronter la mer ni d’aller se livrer à des marchands d’illusion en prenant une arme. Toutes ces valeurs traditionnelles ont été oubliées. Le travail aujourd’hui, c’est d’amener à créer la socialisation. Aujourd’hui il n’ya aucun rite, à l’école, il y avait des valeurs qui devaient être transmises à travers la morale, l’éducation civique qui ne sont plus enseignées. Les partis politiques qui devaient s’occuper de l’éducation à la citoyenneté ou au militantisme s’occupent tout simplement de garder les sous en payant les consciences des citoyens lors des élections sans aucune vision. Aujourd’hui c’est de la catastrophe au Mali car sans l’éducation de cette jeunesse, on n’ira pas loin.

7-Mehari : Si vous aviez des conseils à donner à cette jeunesse, ce serez quoi ?

C’est de dire à la jeunesse que nous avons tout ici. Il s’agit tout simplement d’utiliser de son intelligence, de la créativité, car on sait combien les jeunes coréens fournissent des efforts pour réussir. C’est ce qui va nous valoriser à la compétitivité, de valoriser notre savoir.

8-Mehari : Votre mot de la fin.

Je vous remercie et je ne cesserai pas de vous dire merci, car vous m’avez donné l’occasion de m’exprimer afin d’être entendu et écouté. Je remercie à tous ceux qui vont m’écouter à travers votre média et je vous dit merci.

Orphelins recueillis et formés par Adama TRAORE

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