Mali : un « coup d’État manqué » qui ressemble à une purge politique

Par  Mohamed AG Ahmedou.

Le communiqué solennel lu le 14 août 2025 à l’ORTM par le général Mohamedoune Daoud, ministre de la Sécurité et substitut du porte-parole du gouvernement malien, aurait pu n’être qu’un épisode de plus dans la dramaturgie politique à laquelle Bamako a habitué ses citoyens. La junte d’Assimi Goïta affirmait avoir déjoué un « coup d’État » fomenté par des officiers de haut rang. Mais derrière cette version officielle, de plus en plus contestée, se dessine un scénario autrement plus inquiétant : celui d’une purge méthodique et implacable, destinée à museler les voix dissidentes au sein de l’armée malienne.

Une armée sous tutelle et sous méfiance

Depuis le putsch d’août 2020, Assimi Goïta a consolidé l’emprise de son unité d’origine, le Bataillon autonome des forces spéciales (BAFS), érigé en colonne vertébrale du régime. Cet appareil sécuritaire, abondamment doté et soutenu par les mercenaires russes de Wagner et Africa Corps, concentre désormais les moyens les plus modernes. Les autres unités, elles, sont reléguées à un rôle subalterne, voire neutralisées : le Peloton d’intervention de la gendarmerie nationale (PIGN), les FORSAT de la garde et de la police, ou encore les bérets rouges, volontairement dispersés à Sikasso, Diabaly ou Napala, privés de logistique et de relève pendant des mois.

Même la police, instrumentalisée puis militarisée, a vu sa force d’élite – la Forsat Police – dissoute après des mobilisations jugées indociles. Ses éléments chevronnés ont été envoyés dans le Nord et le Centre, remplacés par de jeunes recrues de la Brigade anti-criminalité (BAC), mal formées et mal équipées, déployées sur des terrains où elles ne devraient jamais se trouver.

La mise à l’écart des voix discordantes

Au-delà du rapport de force militaire, la purge touche désormais les hommes. Selon nos informations, au moins 65 militaires de haut rang ont déjà été arrêtés ou mutés depuis le début du mois d’Août, dans une atmosphère de suspicion généralisée.

Parmi eux, deux figures centrales : le général Abbas Dembélé, ancien gouverneur de Mopti, et la générale de brigade Nema Sagara. Leur tort ? Avoir incarné une ligne différente de celle imposée par Bamako.

Le général Dembélé, réputé proche des populations, avait entrepris au printemps des négociations exploratoires avec la katiba du Macina (branche sud du JNIM d’Amadou Kouffa). Un compromis inédit semblait émerger, évoquant l’abandon de l’application systématique de la charia sur tout le territoire. Mais de retour à Bamako, le colonel Maïga, son collaborateur direct, fut sèchement muté à Kayes par le général Malick Dicko, adjoint à l’Agence Nationale de la Sécurité d’État- ANSE. Quelques jours plus tard, le général Dembélé lui-même était relevé de ses fonctions.

Quant à Nema Sagara, elle est apparue dans une construction narrative cousue de fil blanc, accusée par ricochet d’être mêlée à une prétendue conspiration ourdie par un Français expatrié, Yann Vezillier.

L’ombre française instrumentalisée

Selon plusieurs sources militaires maliennes, Yann Vezillier n’est pas un « conspirateur », mais un ancien mécanicien de l’armée de l’air française engagé sous contrat avec le régime pour la maintenance des avions militaires maliens. Installé de longue date au Mali, il fréquente le même cercle amical que le chef des services de renseignement(ANSE), Modibo Koné, et la générale Nema Sagara.

« Tout le monde le sait, sauf peut-être Assimi Goïta lui-même », glisse un officier malien. L’accuser de tramer un coup d’État n’a qu’une fonction politique : réactiver le réflexe anti-français, cette rhétorique commode qui détourne l’attention des Maliens – et de nombreux Africains – des véritables causes de la crise. Mais ce récit officiel masque une autre réalité : la réunion de hauts gradés, fin juillet à Bamako, au cours de laquelle Abbas Dembélé et Nema Sagara auraient exhorté Assimi Goïta à changer de stratégie, à reconnaître le moral en berne des troupes et à rendre hommage aux soldats tombés au front, dont des milliers meurent dans un silence quasi absolu.

Cette franchise aurait scellé leur destin.

Un retour des méthodes de Moussa Traoré

Les arrestations spectaculaires de ces officiers résonnent avec un passé douloureux. Dans les années 1970, sous la dictature du général Moussa Traoré, les purges dans l’armée avaient également frappé des officiers réputés intègres. Le capitaine Koke Dembélé, père du général Abbas Dembélé, alors gouverneur de Gao, avait lui-même été arrêté et détenu avant d’être blanchi.

« Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est un copier-coller de la dictature des années Moussa Traoré », s’indigne un intellectuel malien. « Le Mali a régressé de plus de cinquante ans en arrière. »

Un récit officiel qui s’effondre

La soi-disant tentative de coup d’État, appuyée sur la saisie de téléphones lors d’une fouille de l’ANSE début août, ne repose sur aucune preuve tangible. Les données envoyées en Russie et en Turquie n’ont rien révélé. Mais le pouvoir a persisté, exhibant des officiers humiliés, privés de leurs uniformes, présentés comme de vulgaires délinquants.

Ce message de peur, qui devait servir d’avertissement, pourrait au contraire galvaniser la contestation interne. Car derrière les murs de Kati et les plateaux de l’ORTM, l’armée malienne continue de se déliter, minée par les divisions et les rancunes.

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