Par Mohamed AG Ahmedou.

À Bamako, le 1ᵉʳ août 2025, la nouvelle est tombée comme un coup de massue. Moussa Mara, ancien Premier ministre et figure respectée de la scène politique malienne, a été placé sous mandat de dépôt pour… deux messages publiés sur X (ex-Twitter). L’un exprimait sa solidarité envers des détenus d’opinion, l’autre critiquait une opération de levée de fonds qualifiée d’« endettement intérieur masqué ». Deux piqûres d’épingle dans la cuirasse d’Assimi Goïta, mais qui ont suffi à déclencher l’arsenal judiciaire.
Le procès est fixé au 29 septembre 2025. Les charges ? « Atteinte au crédit de l’État », « diffusion de fausses nouvelles », « incitation au désordre ». Des formulations si larges qu’elles pourraient englober, ironise un avocat bamakois, « un commentaire sur la météo qui déplaît au pouvoir ».
« Ce n’est pas un procès, c’est une exécution politique », tranche Sambou Sissoko, analyste politique et économique, dans sa publication sur sa chaîne WhatsApp . « Au Mali aujourd’hui, penser est devenu un acte de trahison. »
La méthode Goïta : museler sans bruit
Depuis le coup d’État d’août 2020, la junte malienne a perfectionné une stratégie de répression feutrée. Pas de chars dans les rues, pas de rafales devant les caméras. À la place, une combinaison redoutable : lois floues sur la cybercriminalité, juges dociles, et prisons prêtes à accueillir toute voix dissonante.
Le schéma est rodé. Étape 1 : laisser un opposant s’exprimer, assez pour se compromettre. Étape 2 : invoquer des infractions fourre-tout comme « atteinte à l’État ». Étape 3 : procéder à une arrestation spectaculaire, suivie d’un procès retardé.
Des figures comme le chroniqueur Mohamed Youssouf Bathily, dit Ras Bath (condamné en 2023 pour « dénigrement de l’État »), ou l’opposant Oumar Mariko (poursuivi en 2022) ont déjà expérimenté ce dispositif. « La justice est devenue un outil de discipline politique », estime un avocat et défenseur des droits humains du Mali.
Une pratique qui dépasse les frontières maliennes
Le cas Mara s’inscrit dans une tendance régionale. Le Sénégal a neutralisé Ousmane Sonko à coups de procédures judiciaires, la RDC a écarté Vital Kamerhe, l’Égypte maintient en détention le militant Alaa Abdel Fattah. Partout, les chefs d’accusation sont interchangeables, les verdicts prévisibles.
« Dans ces régimes, la souveraineté proclamée sert surtout à légitimer la répression intérieure », analyse le politologue burkinabè.
Amnesty International relève dans son rapport 2025 « une détérioration accélérée des libertés publiques » au Mali, avec un usage croissant de la cybercriminalité comme prétexte légal à la censure et à l’emprisonnement.
Un pays en crise multidimensionnelle
Pendant que Moussa Mara est enfermé, le Mali reste enlisé dans ses crises. Selon les chiffres du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), plus de 380 000 personnes sont déplacées à cause du conflit. La Banque mondiale estime que 80 % des Maliens vivent désormais sous le seuil de pauvreté.
Le rapport 2025 de Freedom House classe le pays parmi les « non libres », citant un « recul sévère » des droits civiques depuis 2020. Les violences djihadistes, elles, ne connaissent pas de trêve.
Pour Sambou Sissoko, l’écart entre discours et réalité est abyssal : « La junte parle de souveraineté nationale, mais gouverne par la peur. Critiquer, c’est trahir. Soutenir un prisonnier politique, c’est conspirer. »
Un procès-test
Le 29 septembre, ce n’est pas seulement un homme qui sera jugé. C’est, selon plusieurs observateurs, la capacité des Maliens à défendre leurs libertés. « Si la junte réussit à faire taire Mara sans réaction, elle saura qu’elle peut enfermer quiconque sans crainte », prévient un juriste malien qui requiert l’anonymat.
La diaspora malienne, notamment en Côte d’Ivoire, au Nigeria, en Espagne, au Gabon, en Mauritanie, en Algérie, France et aux États-Unis, multiplie déjà les appels à la mobilisation. Des ONG comme Human Rights Watch alertent sur « la banalisation des arrestations arbitraires » dans le pays.
Sambou Sissoko résume l’enjeu : « Défendre Mara, ce n’est pas défendre un homme, c’est défendre le droit de parler, de penser, de respirer librement. »
L’écho d’une mémoire refoulée
Dans les rues de Bamako, certains se souviennent du régime de Moussa Traoré (1968–1991), qui avait fini par tomber sous la pression populaire après avoir muselé ses opposants. Mais l’histoire, craignent-ils, semble se répéter.
Si la junte remporte ce procès, elle pourra se targuer d’avoir enterré, avec Moussa Mara, une part de l’âme démocratique du Mali. Si elle le perd, elle devra admettre que la peur n’a pas encore gagné toutes les consciences.