Par Mohamed AG Ahmedou

Tondikwindi (Niger), 29 juillet 2025 – Le sang a encore coulé dans l’ouest du Niger. Cette fois, c’est le paisible village de Dangazouni, dans la commune de Tondikwindi, département de Ouallam (région de Tillabéri), qui a été frappé. Dans l’après-midi du 28 juillet, des hommes armés non identifiés, mais dont le mode opératoire porte la signature des cellules locales de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), ont semé la mort. Parmi les victimes figure Tayabou Halidou, enseignant à Bonkoukoirey, revenu dans son village natal pour les vacances. Il a été exécuté alors qu’il revenait de son champ, à quelques mètres seulement des habitations.
Le bilan reste flou à l’heure où nous écrivons ces lignes, mais selon plusieurs témoignages locaux, plusieurs civils ont été tués, d’autres portés disparus, et des greniers pillés ou incendiés. Ce drame s’inscrit dans une série noire d’attaques visant les populations civiles de cette région devenue le théâtre d’une insécurité chronique.
Une violence insidieuse et répétée
Depuis 2017, les régions frontalières du Mali et du Burkina Faso, notamment Tillabéri et Tahoua, sont le cœur du « triangle de l’insécurité ». Les groupes armés terroristes, principalement l’EIGS (lié à l’État islamique) et le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) affilié à Al-Qaïda, s’affrontent tout en ciblant les civils pour contrôler les couloirs de mobilité, imposer la zakat (impôt islamique) ou punir les villages soupçonnés de collaborer avec l’armée nigérienne.
Des expéditions punitives comme celle de Dangazouni ont déjà endeuillé plusieurs localités : Banibangou, Anzourou, Tillia, Intikane, ou encore Darey-Daye. En mars 2021, l’attaque simultanée des villages d’Intazayene, Bakorat et Akifakif avait fait plus de 137 morts dans la seule région de Tahoua, selon Human Rights Watch.
Une stratégie d’occupation par la terreur
Selon un chercheur universitaire d’un grand centre de recherche, ces groupes terroristes appliquent une logique d’encerclement territorial : ils « imposent leur domination en alternant offres de protection, imposition idéologique et répression sanglante ». L’assassinat ciblé de figures éducatives comme Tayabou Halidou, perçues comme agents de l’État ou relais de la modernité, fait partie intégrante de cette guerre psychologique.
La mort de Tayabou rappelle aussi celle de plusieurs enseignants, chefs coutumiers ou imams modérés éliminés dans la même zone. Selon une ONG nigérienne , « les terroristes cherchent à briser les relais communautaires de résilience, à installer une autorité parallèle dans les zones abandonnées par l’État. »
L’effondrement de l’appareil sécuritaire depuis le coup d’État
Depuis le coup d’État militaire du 26 juillet 2023, la junte dirigée par le général Abdourahamane Tiani promettait de « restaurer la sécurité et la souveraineté ». Deux ans plus tard, le tableau est sombre. Les chiffres du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) indiquent que plus de 500 000 personnes sont déplacées internes dans les régions de Tillabéri et Tahoua, et que l’espace humanitaire y est fortement restreint.
Le retrait des forces françaises de l’opération Barkhane, suivi du départ précipité des contingents américains en 2024, a laissé un vide sécuritaire que l’armée nigérienne, désorganisée et sous-équipée, ne parvient pas à combler.
Une junte obsédée par Niamey, aveugle aux marges
Le régime militaire concentre ses efforts sur le contrôle de la capitale et la consolidation de son pouvoir, négligeant les réalités périphériques. À Ouallam, à Abala, comme à Tchintabaraden, les populations vivent dans la peur. Les groupes armés ne se contentent plus d’attaques isolées : ils instaurent des gouvernances de fait, installant juges, collecteurs d’impôts et milices de surveillance.
Le sociologue nigérien et qui résume : « Les régions marginalisées de l’ouest sont devenues des laboratoires de domination djihadiste pendant que le pouvoir militaire discourt sur la souveraineté à Niamey. »
Silence diplomatique et absence de réaction nationale
Aucune déclaration officielle n’a encore été faite sur l’attaque de Dangazouni. Ce silence complice est devenu la norme. En mars 2025, l’attaque du marché de Tondikiwindi avait fait 12 morts. Là encore, aucune réaction officielle, pas même un deuil national.
La situation contraste avec les promesses de la CEDEAO, qui, malgré la levée des sanctions, semble avoir capitulé face à la junte. Et pendant que le Sahel s’enfonce dans le chaos, la communauté internationale reste focalisée sur le conflit russo-ukrainien ou les élections américaines.
L’hommage à un enseignant tombé debout
Tayabou Halidou, comme d’autres avant lui, n’était pas un combattant. Il était un éducateur, un pont entre deux mondes, un homme de paix. Son exécution symbolise l’effondrement d’un modèle social fondé sur l’école, le dialogue et la transmission. Il meurt victime d’une guerre qui ne dit pas son nom, dans une région où l’État ne répond plus.
Le silence autour de sa mort est insupportable. Mais à travers lui, c’est toute une génération de villageois, d’agriculteurs, de jeunes enseignants et de femmes commerçantes qui sont menacés d’extinction.
Le Sahel abandonné
L’attaque de Dangazouni est une alerte de plus. Mais dans ce Sahel sans tuteur ni projet, où les armées locales sont réduites à des garnisons et les civils à des cibles, les appels à l’aide se perdent dans le désert. Le Niger, à l’image de ses voisins malien et burkinabè, s’enfonce dans une guerre d’attrition contre des ennemis mieux organisés, plus motivés, et désormais profondément enracinés.
L’insécurité à l’ouest du Niger n’est pas une fatalité. Elle est le produit d’un abandon stratégique, d’un silence complice, et d’une démission politique. Et tant que les populations de Tondikwindi ou de Tillia ne seront pas considérées comme des citoyens à part entière, les Dangazouni continueront à mourir dans l’ombre.