Une Charte pour la paix sans les Maliens ?

Par la Rédaction du Méhari Post.

Mardi 22 juillet 2025, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation a été officiellement remise au président de la transition malienne, le Colonel putshiste Assimi Goïta. Présenté comme un jalon historique censé remplacer l’accord d’Alger dénoncé en janvier, ce document censé incarner une alternative « souveraine » à un processus internationalisé soulève pourtant une série de critiques sur sa légitimité, son accessibilité et sa pertinence. Une paix sans débat peut-elle fonder une réconciliation authentique ?

Une Charte livrée dans l’opacité

Contrairement aux usages démocratiques les plus élémentaires, le contenu même de la Charte n’a pas été publié au moment de sa remise. Ce flou a immédiatement suscité des critiques.

Fabou Kanté, président du mouvement Tabale, écrit sur Facebook :

 « Pourriez-vous mettre à notre disposition, en notre qualité d’humbles Maliens épris de paix et au nom de la veille citoyenne, le projet de la Charte pour la Paix et la Réconciliation ? »

Sa demande traduit une frustration largement partagée dans la société civile malienne. Il y a dans cette rétention une rupture de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. En démocratie, un texte fondateur de cette nature doit être lu, discuté, critiqué avant toute adoption.

Une initiative instrumentalisée par la junte ?

De nombreuses voix s’interrogent sur les intentions réelles de la junte dans cette démarche. Pour Adaman Touré, chef du gouvernement malien en exil et initiateur du Gouvernement malien en Exil en Mai2024 et du « Panel des démocrates » :

« C’est bizarre que je n’arrive pas à avoir le document de la nouvelle charte de la paix… aucun Malien ne l’a lu encore, et encore moins, aucun Malien ne se l’est appropriée. »

Touré parle d’une « charte exhibée » par le putschiste Goïta, accusant ce dernier de l’instrumentaliser à des fins de légitimation, alors même que le contenu du texte reste inconnu du peuple qu’il prétend rassembler. Cette opacité ne fait que renforcer le sentiment d’un document imposé par le haut, et non l’émanation d’un consensus national.

 L’exclusion des voix du Nord et des territoires marginalisés

Du côté des mouvements indépendantistes et fédéralistes comme le Front de Libération de l’Azawad (FLA) et le gouvernement malien en Exil à Genève, cette charte est perçue comme une manœuvre dilatoire.

Selon plusieurs observateurs, dont Mohamed AG Ahmedou du Méhari Consulting :

 « Une paix sans les forces qui contestent l’ordre central n’est qu’un texte administratif. Aucun groupe armé, aucun chef de tribu du Nord, du sud de l’ouest, de l’Est, du centre, aucun leader religieux n’a été associé sérieusement à la rédaction. »

L’absence d’une véritable inclusion des communautés du Nord , du centre, du Sud et plus largement des périphéries ,  est un signal alarmant. Elle trahit une réconciliation verticale, imposée, au lieu d’un processus réellement participatif.

Le rôle des médias : relayer sans interroger ?

Autre paradoxe : de nombreux médias ont annoncé avec faste la remise de la charte, sans avoir pu y accéder. Aucune analyse de fond, aucune investigation journalistique sérieuse ne vient étayer les déclarations des autorités. Ce traitement médiatique creux pose la question du rôle des médias dans un contexte autoritaire : s’agit-il d’informer ou de relayer la propagande d’État ?

 Que vaut une charte sans débat démocratique ?

Une charte de paix est avant tout un contrat social. Or, ici, les fondamentaux d’un processus inclusif et délibératif semblent avoir été ignorés : ni débats publics, ni consultations populaires, ni forums citoyens.

Une paix durable ne saurait se décréter depuis un palais présidentiel. Elle se construit dans l’écoute, la reconnaissance de la diversité malienne, et le courage de confronter les douleurs du passé. Sans cela, cette charte risque de rejoindre les nombreux traités et déclarations restés sans suite depuis 1991.

Le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale aurait pu être une étape décisive vers un Mali réconcilié avec lui-même. Mais sa réception précipitée, son manque de transparence, et l’absence de participation réelle en font, pour l’instant, un texte discrédité. La paix ne peut être qu’une œuvre collective. À vouloir imposer une version unilatérale de la réconciliation, le régime d’Assimi Goïta prend le risque de transformer cette charte en un énième document sans âme.

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