Mali : la junte face aux limites de sa stratégie militaire

Par Mohamed AG Ahmedou

Enlisée dans une logique sécuritaire et autoritaire, la transition malienne est désormais confrontée aux conséquences de ses choix.

Trois ans après avoir pris le pouvoir par la force, la junte malienne se retrouve dans une impasse. Le pari d’une reconquête par les armes, fondé sur le rejet du dialogue et l’alliance avec le groupe paramilitaire Wagner, montre aujourd’hui ses limites. Sur le terrain, les groupes armés persistent, les tensions communautaires s’aggravent, et la situation humanitaire se détériore.

Un pouvoir enfermé dans une stratégie de confrontation

Depuis les coups d’État d’août 2020 et mai 2021, le pouvoir de transition s’est engagé dans une voie résolument sécuritaire. Plutôt que d’ouvrir des canaux de dialogue avec les groupes du Nord et du Centre — en particulier les communautés touarègue, peule et arabe — il les a associés aux mouvements autonomistes ou jihadistes, et a opté pour une réponse militaire brutale.

Ce choix a conduit à une coopération étroite avec le groupe Wagner, déployé dans plusieurs zones de conflit. En échange, des contrats opaques liés aux ressources minières, notamment l’or de Kayes, ont été octroyés, alimentant la suspicion d’un bradage des richesses nationales.

Wagner, un allié devenu embarrassant

L’appui russe n’a cependant pas permis d’inverser le rapport de force. Les groupes armés du Nord restent solidement implantés, tandis que dans le Centre et le Sud, les attaques jihadistes se multiplient. Malgré les efforts militaires, les territoires hors de contrôle s’étendent, et les civils en paient le prix fort.

Face au coût croissant de cette alliance, le chef de la junte s’est récemment rendu à Moscou, espérant renégocier les termes de la coopération sécuritaire. Mais le voyage n’a débouché sur aucun allègement des engagements existants. Un camouflet pour Bamako.

La tentation dangereuse des manipulations communautaires

De retour au pays, le pouvoir malien a choisi de réactiver une stratégie déjà éprouvée sous d’autres régimes : attiser les clivages internes. En s’appuyant sur certaines milices touarègues progouvernementales, telles que le MSA ou le GATIA, les autorités cherchent à affaiblir indirectement les groupes autonomistes, tout en détournant l’attention de leurs propres échecs.

Mais cette politique du diviser pour régner accroît les tensions communautaires et menace l’unité nationale. Dans les régions du Nord, le risque d’un embrasement intercommunautaire est désormais réel. Les fractures identitaires, déjà profondes, se creusent encore, compromettant toute perspective de réconciliation.

Un pays au bord de l’implosion

Sur le plan diplomatique, le Mali est de plus en plus isolé. La rupture avec les partenaires traditionnels, combinée à la perte de crédibilité régionale, limite les marges de manœuvre du régime. Sur le plan économique, la situation est tout aussi préoccupante : les ressources s’amenuisent, les recettes minières sont menacées par l’insécurité, et le coût de la guerre pèse lourdement sur un budget exsangue.

Entre les lignes de front, la population, elle, s’épuise. Nombreux sont les Maliens qui dénoncent aujourd’hui une transition sans horizon, où les promesses de sécurité et de souveraineté se sont heurtées à une réalité de violences, de privations et d’arbitraire.

Une transition à bout de souffle

L’échec de la stratégie militaire est désormais évident. Ce qui devait être une opération de reconquête s’est transformé en enlisement. Le régime est confronté à une triple crise — sécuritaire, politique et économique — sans offrir de voie de sortie crédible. À mesure que la pression monte, le spectre d’une rupture brutale du pouvoir se dessine.

Dans cette impasse, la junte paie aujourd’hui le prix d’un entêtement stratégique : avoir confondu autorité et autoritarisme, force et violence, souveraineté et isolement. Plus que jamais, le Mali semble à la croisée des chemins.

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