
Le vendredi 4 juillet 2025 restera dans les mémoires comme un tournant tragique, révélateur de la faillite sécuritaire, morale et politique que traverse le Niger. Tandis qu’à Samira, site aurifère stratégique du sud-ouest du pays, les Forces armées nigériennes subissaient une offensive dévastatrice du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), 17 civils étaient exécutés dans une série de villages reculés du département de Téra, dans la région de Tillabéri. À Méhana, Satchirbangou et Nanaré Fanbita, l’horreur a pris le visage de l’impunité, dans une zone déjà marginalisée depuis des années.
Ce double drame, documenté avec force par l’auteur nigérien Samir Moussa dans une tribune saisissante publiée le 5 juillet, cristallise la spirale de délitement dans laquelle est plongé l’État nigérien, dirigé depuis le coup d’État de juillet 2023 par le général Abdourahamane Tiani et son Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). L’indignation de Moussa n’est pas celle d’un militant, mais d’un citoyen qui constate, comme tant d’autres, l’écart abyssal entre les promesses du pouvoir militaire et la réalité du terrain.
Deux fronts, une même faillite
À Samira, c’est la symbolique même de la souveraineté économique qui a vacillé. La mine d’or, vitale pour les revenus de l’État, est devenue la cible d’attaques de plus en plus audacieuses. Le silence qui entoure les pertes humaines et matérielles enregistrées ce 4 juillet soulève de nombreuses interrogations. Combien de soldats sont tombés ? Quel est l’état des lieux opérationnel ? L’État-major se mure dans un mutisme préoccupant, préférant mettre en scène une rhétorique victorieuse plutôt que d’affronter la réalité.
À Téra, c’est la population civile qui paie, une fois encore, le prix du désengagement de l’État dans les zones rurales. Les 17 civils exécutés – pour la plupart agriculteurs ou éleveurs – n’ont eu droit à aucun hommage officiel, aucun communiqué, aucun geste. Le silence des autorités, souligné avec virulence par Samir Moussa, n’est pas une omission : il est le symptôme d’un mépris structurel envers les périphéries, perçues comme des marges sacrifiables dans le calcul cynique du pouvoir.
L’économie de la violence, la géopolitique du silence
Cette inaction s’inscrit dans un contexte régional profondément instable. Depuis le retrait des forces françaises et européennes, consécutif au coup d’État, le Niger tente de redessiner ses alliances stratégiques, notamment avec la Russie et certains partenaires régionaux. Mais sur le terrain, la recomposition militaire n’a pas apporté la sécurité promise. Au contraire, les groupes jihadistes, qu’ils soient affiliés au JNIM ou à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), gagnent du terrain.
Loin des projecteurs, des centaines de villages vivent désormais sous la menace permanente, entre rackets, enlèvements et massacres ciblés. Dans ce contexte, l’État nigérien apparaît de plus en plus comme une entité fantomatique : une armée visible dans les grandes villes, une administration absente dans les zones rouges, et une gouvernance réduite à la propagande.
Une junte plus préoccupée par son image que par ses morts
Samir Moussa écrit : « Le silence de l’État est une seconde mort. » Cette phrase, tragiquement juste, résume l’indécence d’un pouvoir plus prompt à célébrer ses grades qu’à reconnaître ses victimes. À Téra, les familles endeuillées n’ont pas reçu de soutien. À Samira, les soldats tués n’ont pas été honorés. La junte nigérienne, dont l’argument d’autorité reposait sur la restauration de la sécurité et de la souveraineté, semble aujourd’hui engluée dans l’improvisation et l’inertie.
Ce vendredi 4 juillet, ce n’est pas seulement l’or de Samira ou le sang des paysans de Tillabéri qui ont coulé. C’est un peu plus de la légitimité de l’État qui s’est évaporée.
Une crise de l’État, pas seulement un échec sécuritaire
Il ne s’agit pas simplement d’un raté tactique, mais d’une crise plus large de la gouvernance. Lorsque les institutions ne protègent plus, ne reconnaissent plus, n’énoncent même plus le nom des morts, elles cessent d’être républicaines. Ce que révèle cette journée noire, c’est une rupture du contrat social : un peuple laissé à lui-même, une armée transformée en outil de prestige, et une communication officielle qui maquille le désastre sous les oripeaux d’un nationalisme de façade.
Le Niger mérite mieux que cette parodie de souveraineté. Il mérite un deuil digne pour ses morts, une politique de sécurité responsable, et surtout, une parole d’État qui n’oublie aucun village, aucun soldat, aucun civil.
Tant que les morts de Téra resteront sans nom, la guerre ne sera pas seulement perdue sur le terrain. Elle le sera dans les consciences.