Par Sambou Sissoko et Mohamed AG Ahmedou.

Au Mali, la République est peu à peu dévorée par une bête à galons : une armée transformée en carrière politique, un uniforme devenu costume d’ambition personnelle, un grade militaire arraché non par mérite mais par manœuvre. Depuis le coup d’État de 2020, une élite militaire autoproclamée dirige le pays, non au nom de la nation, mais au service d’elle-même.
Autrefois, le grade militaire était l’aboutissement d’un parcours de service, de discipline, de sacrifices. Aujourd’hui, il est attribué comme une médaille de participation à un putsch. Des colonels deviennent généraux sans victoire, sans réforme, sans bataille. L’armée a perdu sa rigueur ; elle a troqué la discipline pour la flatterie, la loyauté pour le clientélisme, et l’honneur pour l’apparat.
Du mérite à la mise en scène
Cette militarisation du pouvoir n’a plus rien de républicain. Elle repose sur une logique de façade : promouvoir des hommes en treillis pour légitimer un pouvoir qui, sur le terrain, reste désespérément inefficace. Le Nord est hors de contrôle. Le Centre est à l’agonie. Le Sud, autrefois refuge, est de plus en plus instable. Pourtant, à Bamako, les galons pleuvent comme s’il s’agissait de distribuer des décorations lors d’un carnaval.
La mise en scène est grotesque. Les villas poussent comme des champignons, les véhicules blindés s’accumulent, les conférences s’enchaînent. Mais dans les campagnes, on ne parle plus de l’État : on parle de survie. Les populations n’attendent plus rien du pouvoir central. Elles composent avec les groupes armés, par nécessité, pendant que les Généraux d’opérette préparent leurs prochaines promotions.
L’insulte à la mémoire des révolutionnaires
L’histoire africaine regorge pourtant d’exemples contraires. Thomas Sankara est resté capitaine toute sa vie, sans jamais chercher à grimper dans les rangs pour asseoir son autorité. Sa légitimité venait de sa vision, de son intégrité, de son action. Jerry Rawlings, Fidel Castro, ou encore Kadhafi, qu’on approuve ou non leur parcours, n’ont pas eu besoin de se faire adouber par la hiérarchie militaire pour gouverner. Ils ont bâti leur pouvoir sur un cap, pas sur un grade.
Ce contraste est brutal. Là où les grands leaders s’imposaient par la clarté de leur idéologie, les dirigeants militaires maliens d’aujourd’hui s’imposent par la confusion de leurs ambitions.
L’armée comme entreprise familiale
Ce pouvoir militaire n’a pas seulement trahi la République. Il a trahi l’armée elle-même. Car la discipline militaire, ce n’est pas obéir aveuglément à un chef auto-désigné. C’est servir une cause plus grande que soi. Or, dans le Mali de 2025, chaque poste devient un butin à se partager entre amis et cousins. On ne parle plus de stratégie, mais de répartition. On ne parle plus de sécurité, mais de contrats. Le pouvoir est géré comme une société anonyme où chacun veille à maximiser ses dividendes personnels.
Un effondrement civil sous uniforme
Ce que traverse le Mali n’est pas un redressement militaire, mais un effondrement civil. Le camouflage militaire n’a plus rien de protecteur : il masque un vide. Un vide de projet, un vide de vision, un vide de compétence. Ce vide est d’autant plus dangereux qu’il s’entoure de certitudes, d’autosatisfaction, de propagande creuse.
Le pays ne peut pas se permettre d’être dirigé par des carriéristes en treillis. Il a besoin d’une armée au service du peuple, non d’un peuple à genoux devant des militaires dévorés par leur propre ego. Il est temps de nommer les choses : ces galons, dans bien des cas, ne sont que des décorations de pacotille. Ils ne symbolisent ni l’honneur, ni la victoire, ni la loyauté. Ils symbolisent une trahison silencieuse de l’État.
Refuser la normalisation de l’anormal
Face à cette dérive, le silence est une complicité. L’acceptation est une abdication. Il est urgent de refuser d’applaudir ceux qui confondent service public et service de soi. Le peuple malien mérite mieux que cette mascarade. Il mérite des bâtisseurs. Il mérite des dirigeants. Et surtout, il mérite une République où les galons retrouvent leur sens : celui du mérite, et non du mensonge.