Censure 2.0 : Comment les juntes militaires de l’AES musèlent leurs opposants sur Facebook

Au lieu de garantir la sécurité et de répondre aux aspirations des citoyens, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger investissent des centaines de millions de francs CFA pour faire taire la parole critique… sur Facebook. Une nouvelle guerre est engagée : une guerre contre l’expression libre, menée à coups de signalements massifs, de faux liens, et de cyber-harcèlement organisé.

Quand la censure devient numérique

Depuis plusieurs mois, les témoignages se multiplient : des voix dissidentes, des activistes et des journalistes critiques des régimes militaires se voient réduits au silence. Non pas par des arrestations ou des interdictions de manifester – bien que cela existe aussi – mais par une stratégie numérique bien plus insidieuse : l’attaque coordonnée des comptes Facebook.

Au Mali, le journaliste et membre influent de la société civile, Mohamed AG Ahmedou, a vu son compte suspendu pendant une semaine, tout comme Rhissa Ag pendant un mois, activiste azawadien. Leurs publications dérangeaient visiblement les autorités militaires. Leur seul tort : exprimer une pensée différente.

Au Burkina Faso, ce sont les comptes de Maixent Somé et de Newton Ahmed Barry, journaliste et ancien président de la CENI, qui ont été bloqués temporairement. Même scénario au Niger, où les activistes Hamid Ngade et Safia Amoumoune ainsi que celui d’Abdou PAGOUI ont été suspendus.

Un système organisé, financé, et toxique

Derrière ces suspensions, un réseau bien structuré, financé et téléguidé par les régimes en place ou leurs relais. Ces « cyber-militants », souvent rémunérés, agissent selon plusieurs modes opératoires :

Signalements en masse : Des dizaines, parfois des centaines de comptes sont mobilisés pour signaler un contenu ou un profil. Facebook, dont les algorithmes ne peuvent toujours distinguer le signalement légitime de la manipulation, agit mécaniquement.

Hameçonnage ciblé : En se faisant passer pour le « Support Meta », ces agents envoient de faux messages pour piéger les opposants et obtenir leurs identifiants. Une fois piraté, le compte est souvent utilisé à d’autres fins ou désactivé.

Désinformation coordonnée : En parallèle, ces mêmes réseaux diffusent de fausses informations pour discréditer les opposants, entretenant un climat de confusion et de peur.

Un gaspillage honteux des ressources publiques

La question qui fâche : combien coûtent ces campagnes de censure ? Entre le financement de cyber-militants, l’achat de services de signalement automatisés, et la mobilisation d’agents dédiés à ces tâches, ce sont potentiellement des centaines de millions de francs CFA qui sont détournés au détriment des vraies priorités nationales : l’éducation, la santé, et surtout la sécurité, qui reste précaire dans de larges zones de ces pays.

Liberté d’expression menacée

L’utilisation de Facebook – un outil censé connecter les peuples – comme instrument de censure, doit interpeller. Car si un pouvoir ne peut tolérer une critique sur un réseau social, que dit-il de sa légitimité réelle ? Face à cette situation, les plateformes comme Meta doivent également assumer leur part de responsabilité. L’algorithme ne suffit plus. Il faut un traitement contextuel et humain des signalements, surtout dans des zones de conflit ou sous régime autoritaire.

La peur d’écouter l’autre

Réduire les voix dissidentes au silence n’a jamais été un signe de force. C’est au contraire le symptôme d’un pouvoir fragile, inquiet de ce que pourrait penser, dire ou rêver son peuple. À l’ère numérique, la censure n’est plus seulement une affaire d’interdiction d’antenne ou de musellement des médias traditionnels. Elle se joue aussi sur les écrans, derrière les profils, dans les silences imposés par des suspensions arbitraires.

Et pourtant, ce que demandent les citoyens, ce ne sont pas des campagnes numériques de répression. Ils réclament la sécurité, la justice, la transparence. Et surtout : le droit de parler librement.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top