Au Mali, la junte militaire maquille son impuissance face au radicalisme religieux

Depuis le double coup d’État de 2020 et 2021, les militaires au pouvoir au Mali n’ont eu de cesse de se présenter comme les sauveurs d’un État menacé d’effondrement. Pourtant, plus de trois ans après leur arrivée aux commandes, l’essentiel du territoire reste livré à l’insécurité, et le radicalisme religieux s’y déploie avec une inquiétante efficacité.

Les colonels du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), désormais installés dans les habits du pouvoir, s’étaient engagés à restaurer la souveraineté nationale et à faire reculer la menace djihadiste. Ils ont d’abord séduit une partie de l’opinion par un discours patriotique, volontiers populiste, et par leur rejet des anciennes puissances partenaires, à commencer par la France. Bamako a rompu avec Barkhane, poussé la MINUSMA vers la sortie, et tissé de nouveaux liens sécuritaires, notamment avec la Russie et les groupes paramilitaires associés.

Mais derrière la posture souverainiste, les faits sont là : le Mali continue de perdre du terrain. Les groupes djihadistes imposent leur loi dans de nombreuses zones rurales, prélèvent l’impôt, rendent une justice parallèle, recrutent dans les villages. Dans le centre et le nord du pays, la République du Mali ne gouverne plus : elle survit dans quelques bastions urbains sous protection militaire.

Le paradoxe est cruel : alors que le régime se targue de défendre la nation et ses valeurs, l’obscurantisme religieux prospère à bas bruit. Dans des zones entières, les écoles laïques ferment ou se convertissent à l’enseignement coranique. Les femmes voient leurs droits reculer sous la pression de normes imposées par des chefs religieux armés. Et l’armée, si prompte à affirmer sa puissance à Bamako, se révèle souvent impuissante, voire complice, face aux réalités du terrain.

L’un des ressorts de cette dérive est justement la stratégie du camouflage. En occupant le devant de la scène politique, en muselant les voix critiques, en réorientant le débat vers des ennemis extérieurs (ONG, journalistes, opposants, forces internationales), la junte cherche à détourner l’attention de son échec fondamental : elle n’a ni désarmé les groupes djihadistes, ni renforcé l’unité nationale, ni restauré l’État là où il s’effondre.

Pire, le régime semble parfois instrumentaliser certaines figures de l’islam politique pour asseoir sa légitimité intérieure. Des prédicateurs radicaux bénéficient d’une influence croissante, tandis que les défenseurs des libertés civiles sont mis au pas.

Le Mali n’est pas le premier pays à connaître une telle dérive. Mais l’histoire jugera sévèrement une junte qui, sous prétexte de sécurité et de souveraineté, aura sacrifié l’essentiel : l’espoir d’une république démocratique, laïque et inclusive.

À méditer : le pouvoir qui prétend lutter contre le radicalisme, mais refuse de se confronter à ses causes profondes, devient tôt ou tard son complice silencieux.

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