AES : le fau départ d’un projet qui risque de trahir ses promesses.

Une Tribune écrite par Abdoulahi ATTAYOUB
Consultant
Lyon (France) 21 juin 2025.

Par-delà les discours martiaux et les envolées souverainistes, le projet de l’Alliance des États du Sahel (AES) peine à convaincre. Son lancement précipité, dans un climat de rupture entre les régimes militaires sahéliens et la communauté internationale, continue de soulever plus de doutes que d’adhésions. Derrière l’ambition affichée de refonder l’ordre régional, se dessine de plus en plus une entreprise improvisée, tiraillée entre injonctions idéologiques, réflexes populistes et réalités locales largement ignorées.

Présentée comme un instrument de reconquête de la souveraineté, l’AES s’est construite dans l’urgence, sans vision structurée, ni réelle concertation populaire. Ce projet, qui aurait pu porter une dynamique historique de dépassement des frontières coloniales, semble aujourd’hui fragilisé par un décalage manifeste entre son récit fondateur et les réalités sociopolitiques des pays membres. Les différences profondes entre les contextes nationaux du Mali, du Burkina Faso et du Niger, sur les plans économique, ethnique, linguistique ou institutionnel, constituent un frein majeur à la cohérence et à la durabilité de cette alliance.

À cela s’ajoute un flou géopolitique préoccupant. L’AES donne parfois l’image d’un attelage diplomatique hésitant, dont les orientations varient au gré des humeurs, des discours virulents sur les réseaux sociaux et des exigences d’un populisme de circonstance. La parole politique, de plus en plus captée par une minorité militante très active dans les réseaux sociaux, tend à se substituer à une réflexion sérieuse sur les intérêts stratégiques à long terme. Ce vide idéologique, camouflé par une rhétorique de victimisation et d’hostilité à l’Occident, peine à masquer l’absence d’un projet réellement porté par les peuples des pays concernés.

Pire encore, l’Alliance donne l’impression de détourner l’attention des véritables urgences. Sur le terrain, les groupes jihadistes gagnent du terrain, profitant des failles sécuritaires et de l’affaiblissement des États. La lutte antiterroriste, pilier annoncé de l’AES, est minée par le déni des réalités : les communiqués triomphalistes masquent difficilement les violences quotidiennes vécues par les populations, et largement documentées par les acteurs de la société civile et les organisations de défense des droits humains.

Dans ce contexte, la faillite des institutions régionales traditionnelles, l’Union africaine et la CEDEAO notamment, aggrave l’isolement de la région. Leur discrédit et leur inaction laissent la voie libre à des initiatives désordonnées, qui exposent le Sahel à un déséquilibre géostratégique sans précédent. Abandonnés par une communauté internationale absorbée par d’autres foyers de crise jugés plus stratégiques, les peuples sahéliens se retrouvent livrés à eux-mêmes.

Il n’est pas trop tard pour redonner sens au projet de l’AES. Mais cela implique de rompre avec l’improvisation, de dépasser les postures victimaires et de construire une vision ancrée dans les réalités humaines, sociales et économiques de la région. À défaut, l’AES risque de rejoindre la longue liste des initiatives africaines nées dans l’euphorie politique et mortes dans le silence des peuples.

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