Mali : quand le JNIM retourne la guerre contre les civils de Kayes et Nioro, révélant l’impuissance de la junte d’Assimi Goïta

Écrit par Mohamed AG Ahmedou journaliste spécialiste des dynamiques politique et sécuritaire du Sahel central.

Abou Houzeyfa Al Bambari, porte parole du JNIM dans les régions du sud et de l’ouest du Mali.

Le 3 septembre 2025, le porte-parole du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), Abou Houzeyfa Al Bambari, a annoncé un tournant inquiétant dans la guerre sahélienne : les populations des régions de Kayes et de Nioro du Sahel deviennent désormais des cibles assumées des jihadistes. Motif invoqué : leur soutien affiché à l’armée malienne, considérée comme « aux ordres de la junte militaire de Bamako ».

Cette menace, inédite dans une zone longtemps épargnée par la violence armée, illustre l’échec cuisant de la stratégie sécuritaire de la junte qui, après cinq ans au pouvoir, n’a ni endigué la progression des groupes jihadistes, ni protégé les populations civiles.

Un blocus inédit, une menace assumée

Selon Abou Houzeyfa Al Bambari, les hommes du JNIM ont instauré un blocus sur les axes stratégiques reliant Kayes, Nioro et Bamako. Des véhicules ont été confisqués, des passagers arrêtés puis relâchés,  à condition de ne pas être originaires des régions visées. Le message est clair : Kayes et Nioro sont désormais isolés, suspectés collectivement de collusion avec l’armée.

La compagnie privée « Diarra Transport » a même été explicitement ciblée, avec plusieurs bus incendiés le 3 septembre entre Kayes et Diéma. Cette attaque contre une société civile illustre la volonté des jihadistes de punir non seulement l’État, mais aussi ceux qui, par choix ou par contrainte, manifestent leur soutien aux forces armées.

Le Bus de la compagnie »Diarra Transpor », brûlé par le JNIM, le 3 septembre 2025 entre Kayes et Diema.

Un échec de la junte, symbole Farabougou

La situation réactive le traumatisme de Farabougou, localité du centre du Mali tombée aux mains du JNIM en novembre 2020, théâtre d’attaques répétées malgré les promesses sécuritaires d’Assimi Goïta. Celui que ses opposants surnomment ironiquement « le Rambo de Farabougou » n’a jamais pu briser ce verrou symbolique. Cinq ans plus tard, la menace s’étend désormais jusqu’aux confins de Kayes, région jadis présentée comme le bastion stable du pays.

Populations utilisées comme boucliers humains

La junte militaire malienne, en encourageant des comités d’autodéfense civils, expose les communautés locales à des représailles massives. L’exemple de Barsalogo au Burkina Faso, où des centaines de civils ont été massacrés le 24 août 2024 par le JNIM, plane désormais sur Kayes et Nioro. La logique de « milicianisation » des populations, présentée comme un sursaut patriotique, se transforme en piège mortel.

Une politique de diversion face aux crimes d’État

Pendant que Bamako dépose plainte contre l’Algérie à la Cour internationale de justice pour l’abattage d’un drone malien, la réalité intérieure est tout autre : l’armée malienne et ses alliés russes de Wagner et Africa Corps sont accusés par des ONG et des témoins locaux de massacres systématiques de civils touaregs, peuls et arabes dans le centre et le nord du pays.

Le contraste est saisissant : indulgence face aux jihadistes, qui occupent toujours Anderboukane dans la région de Ménaka depuis mai 2022, mais violence disproportionnée contre les populations nomades, au nom de la « reconquête du territoire ».

Le silence international, une complicité tacite

Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk, a récemment dénoncé les arrestations arbitraires d’opposants politiques et d’acteurs de la société civile par le régime en place au Mali. Mais comme le souligne Mohamed Maouloud Ould Ramadan, porte-parole du Front de libération de l’Azawad, « cette junte de criminels ne s’est pas limitée à l’arrestation arbitraire de civils ; elle est également responsable d’un nettoyage ethnique systémique ».

Cette accusation grave, relayée par des acteurs maliens et sahéliens, alerte sur un risque de glissement vers des crimes de masse impunis, tandis que la communauté internationale détourne le regard, absorbée par les enjeux géopolitiques de la région.

Une guerre sans horizon

Le Mali vit aujourd’hui un paradoxe tragique : alors que la junte se présente comme le dernier rempart contre le terrorisme, son incapacité à contenir le JNIM et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ouvre de nouveaux fronts. Kayes et Nioro, longtemps zones de repli économique et migratoire, deviennent des théâtres d’affrontements où les civils sont désignés comme cibles légitimes.

Dans un pays où l’État a échoué à protéger et à réconcilier, la guerre se retourne désormais contre les populations elles-mêmes.

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