Par Mohamed AG Ahmedou

La nouvelle est tombée le 12 août 2025, à Paris, où il luttait contre une longue maladie : Tiébilé Dramé, ancien ministre, diplomate et figure majeure de l’opposition démocratique au Mali, s’est éteint à l’âge de 69 ans. Sa disparition marque la fin d’un parcours hors du commun, où engagement militant, stratégie politique et sens du dialogue se sont souvent heurtés aux vicissitudes de l’histoire malienne.
Parmi les nombreuses voix qui se sont élevées pour lui rendre hommage, celle du docteur Oumar Mariko, leader du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI), résonne avec une intensité particulière. Ancien compagnon de lutte au sein du mouvement étudiant, parfois adversaire sur le terrain politique, Mariko a livré un texte à la fois personnel et politique, dressant le portrait d’un aîné « lucide, perspicace et profondément sensible à la situation des autres camarades de lutte ».
Un héritage forgé dans la lutte contre la dictature
Né en 1955 à Nioro du Sahel, Tiébilé Dramé s’engage très tôt dans les rangs de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM). Dans les années 1980, il est de toutes les batailles contre le régime militaire du général Moussa Traoré, au pouvoir depuis le coup d’État de 1968. Arrêté, torturé, il partage le sort de nombreux militants passés par les geôles du Comité militaire de libération nationale (CMLN) et du parti unique, l’UDPM.
« Il paie ainsi ses années de maltraitances, de stress et de tortures que le cynique Moussa Traoré et son parti ont fait subir à tous ceux qui ont mené, avec sincérité, le combat pour la dignité du Malien », écrit Oumar Mariko. Dans son hommage, il convoque la mémoire d’une génération sacrifiée : Badri, Drissa Diakité, Sayon Sissoko, Mohamed Tabouret, Mamadou Oulalé, Seydou Diarra « Totoh », ou encore Sy Victor Borion, « le Vié », surnom affectueux donné par Dramé à ce militant charismatique.
Entre compagnonnage et divergences
L’histoire politique récente du Mali a parfois placé les deux hommes sur des chemins divergents. Dramé, fondateur du Parti pour la renaissance nationale (Parena), choisit souvent la voie des négociations et de la diplomatie. Mariko, figure radicale de l’opposition et fervent tribun des luttes sociales, ne cache pas qu’il lui a reproché certaines positions.
Pourtant, souligne-t-il, « tes fautes sont pardonnées, cher camarade, elles l’ont été pour ma part de ton vivant sans hypocrisie, avec un esprit critique que peu comprenaient ». Mariko raconte même un échange où, exprimant son souhait de retrouver « le Tiébilé d’hier » (Kun nun Tiébilé), ce dernier rétorquait avec humour : « C’est le même Tiébilé » (Kun nun Tiébilé ni bi Tiébilé bé ye Tiébilé kelen nye).
Artisan de la transition démocratique
Après la chute de Moussa Traoré en mars 1991, Tiébilé Dramé s’impose comme un acteur incontournable de la transition menée par le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP). Ministre des affaires étrangères, il représente le Mali sur les scènes diplomatiques régionales et internationales.
Médiateur dans plusieurs crises — du conflit touareg dans le nord du Mali aux négociations inter-maliens d’Alger, en passant par des missions pour l’ONU et l’Organisation internationale de la francophonie —, Dramé cultivait l’art du compromis. Mais cette posture lui valut aussi, dans un Mali fragmenté, d’être perçu tantôt comme un conciliateur nécessaire, tantôt comme un pragmatique trop prompt à composer.
« Ne jamais courber l’échine »
Pour Oumar Mariko, la mort de Tiébilé Dramé n’est pas seulement une perte personnelle ou politique ; elle est un rappel à l’ordre militant. « Cette mort réveille en nous, vivants, la noblesse du combat », affirme-t-il, appelant à « renouveler le serment de ne jamais courber l’échine » pour « les lendemains qui chantent la victoire ».
À l’épouse du défunt, Kadiatou Konaré, à sa fille Fanta Dramé, surnommée « Fanta Grève » et à ses proches, Mariko adresse un soutien appuyé : « Soyez fiers de votre père. J’espère que la patrie reconnaissante saura honorer pour de vrai l’un de ses fils les plus dignes. »
Les grandes dates de la vie de Tiébilé Dramé
1955 : naissance à Nioro du Sahel, dans la région de Kayes
Années 1980 : engagement au sein de l’UNEEM, arrestations et détentions politiques
1991 : membre du CTSP, acteur de la transition démocratique
1991-1992 : ministre des affaires étrangères
1995 : création du Parti pour la renaissance nationale (Parena)
2000-2010 : médiateur dans plusieurs crises maliennes et ouest-africaines
2019-2020 : ministre des affaires étrangères sous Ibrahim Boubacar Keïta
2025 : décès à Paris le 12 août
« Dors en paix, Tiébilé », conclut Oumar Mariko dans son hommage. « Que la terre te soit légère et que ton âme repose en paix. » Pour beaucoup, au Mali comme ailleurs, il restera l’un de ces hommes qui ont refusé de plier, même lorsque la tempête politique menaçait d’emporter tout espoir.