Par Mohamed AG Ahmedou journaliste, acteur de la société civile des régions de Tombouctou et Taoudeni et spécialiste des enjeux et dynamiques sahelo-sahariennes.

À l’aube du dimanche 10 août 2025, la ville-garnison de Kati s’est réveillée sous le fracas discret des bottes. Des sous-officiers subalternes, mandatés par la junte au pouvoir, ont investi le domicile du général de brigade Abass Dembélé. L’officier, figure respectée de l’armée de terre malienne, a été arrêté en même temps que d’autres généraux et trente-deux officiers. Officiellement, Bamako les accuse de “tentative de déstabilisation des institutions”. Officieusement, beaucoup y voient une purge interne destinée à neutraliser des voix dissidentes au sein des forces armées.
Depuis le coup d’État du 18 août 2020, cinq colonels, menés par Assimi Goïta, tiennent les rênes du pays sans légitimité électorale. Au fil des ans, leur régime s’est durci, réduisant au silence opposants politiques, société civile, journalistes… et désormais des officiers de haut rang.
Un héros de Konna et de Gao devenu indésirable
L’histoire militaire d’Abass Dembélé contraste avec l’humiliation publique de son arrestation. En janvier 2013, il fut l’un des artisans de la libération de Konna et de Gao, avec l’appui de l’opération française Serval. Fidèle à son supérieur de l’époque, le général de division Didier Dackio, il faisait partie de ces cadres qui dirigeaient directement les opérations sur le terrain, aux côtés d’autres officiers comme Nema Sagara – elle aussi aujourd’hui sur la liste noire du pouvoir.
Proche des hommes et des populations, Abass Dembélé n’avait pas la réputation d’un officier carriériste. Gouverneur de Mopti jusqu’en mai 2025, il fut limogé par Assimi Goïta après avoir autorisé des manifestations pacifiques contre les coupures d’électricité. Un affront direct à une junte incapable, depuis 2023, d’assurer un approvisionnement régulier en énergie, malgré l’annonce en grande pompe d’une centrale solaire dont la première pierre… n’a jamais donné lieu à un chantier réel.
Un formateur devenu menace
Le paradoxe est cruel : selon plusieurs sources militaires, c’est le général Dembélé qui avait formé Assimi Goïta lors de son passage dans les forces spéciales. Mais les trajectoires ont divergé. L’élève, devenu chef de l’État par les armes, voit désormais dans son ancien formateur un danger. “C’est un homme compétent, intègre, aimé des civils, et qui ne rêve pas de pouvoir. C’est précisément cela qui effraie la junte”, confie un officier resté anonyme.
Cette perception vaut aussi pour les autres officiers dont la Générale de Brigade Nema Sagara qui est arrêtée tout comme le GAL ABASS et ceux qui sont cités comme Didier Dackiou, Élisée Dao et Fantamady Dembélé. Tous partagent selon plusieurs sources concordantes, un désaccord fondamental avec la prolongation, sans élection, du mandat présidentiel d’Assimi Goïta et de ses quatre compagnons de putsch. Les généraux réclamaient un retour à l’ordre constitutionnel et la réaffectation des militaires à leurs missions régaliennes.
Une dérive autoritaire sans précédent
Les analystes maliens et internationaux constatent une accélération inquiétante de la dérive autoritaire. “Ce n’est plus seulement la société civile qui est muselée, c’est désormais le cœur de l’institution militaire qui est ciblé”, estime un chercheur en sécurité sahélienne. Le Mali s’enfonce dans un double enlisement : sécuritaire, avec des zones entières toujours hors contrôle de l’État, et économique, marqué par un effondrement du pouvoir d’achat, un chômage massif et la persistance des coupures d’électricité.
Sur le terrain des droits humains, les organisations internationales pointent un nombre croissant d’exactions contre les populations civiles, en particulier dans les régions du centre et du nord. “Depuis l’indépendance en 1960, le Mali n’a jamais connu un tel niveau de crise multidimensionnelle”, note un diplomate ouest-africain.
L’arrestation du général Abass Dembélé et de ses pairs illustre ainsi le basculement d’un régime militaire qui, jadis, justifiait son putsch au nom de la sécurité nationale, et qui aujourd’hui redoute davantage ses propres officiers que les ennemis armés du pays.