Par Oumar Moctar Alansary – Écrivain et homme politique nigérien

Un héritage au carrefour du désert et du fleuve
Au cœur du Sahel africain, là où les sables du Sahara rencontrent la verdure des rives du fleuve Niger, vit un héritage forgé par les Touaregs, les Songhaï et les Zarma. Trois peuples liés par la foi, le commerce transsaharien et un sens profond du bon voisinage.
À l’occasion de la conférence sur la langue et la culture des peuples Songhaï, Zarma et Dendi, tenue à Niamey du 7 au 10 août 2025, cet appel résonne comme une invitation à raviver ce patrimoine commun, non pas comme une relique du passé, mais comme une boussole pour l’avenir.
Les Touaregs, chevaliers du désert
Surnommés « le peuple bleu » pour leurs voiles d’indigo, les Touaregs portent l’héritage des Amazighs d’Afrique du Nord. Guides des caravanes à travers le Ténéré, fondateurs du sultanat d’Agadez au XVe siècle, ils ont relié l’Afrique du Nord aux royaumes de l’Ouest.
Leur langue, le tamasheq, écrite en tifinagh, porte la poésie du désert. Leur foi, ancrée dans le rite malékite, les a rapprochés des Songhaï et des Zarma, partageant écoles coraniques et échanges savants. Derrière leur réputation de guerriers, se dessine un peuple profondément attaché à la coopération et à l’échange.
Les Songhaï, bâtisseurs du fleuve
Fils du Niger, les Songhaï ont érigé, entre les XVe et XVIe siècles, l’un des plus grands empires ouest-africains. Sous Sonni Ali Ber et Askia Mohammed, Gao et Tombouctou devinrent des phares intellectuels, abritant bibliothèques et manuscrits précieux.
Commerçants, agriculteurs et médiateurs, les Songhaï tissaient des liens entre le désert et le fleuve, accueillant marchands touaregs et communautés zarma. Leur héritage persiste aujourd’hui dans les marchés, les mosquées et la mémoire collective du Sahel.
Les Zarma, héritiers et partenaires
Proches parents des Songhaï, les Zarma se sont installés dans l’ouest du Niger après l’effondrement de l’empire songhaï au XVIe siècle. Agriculteurs, pêcheurs et commerçants, ils ont joué un rôle clé dans la continuité des échanges.
Leurs chefs traditionnels, les zarmakoy, ont maintenu des relations équilibrées avec les Touaregs nomades et les Songhaï sédentaires. Leur langue, cousine du songhaï, et leur participation aux écoles religieuses ont renforcé l’unité culturelle de la région.
L’Islam, socle commun
L’Islam malékite, adopté entre le VIIe et le XIe siècle, a servi de ciment. Tombouctou, Agadez, Niamey : autant de lieux où érudits et marabouts ont tissé un réseau d’enseignement et de spiritualité. Les fêtes religieuses, comme le Mawlid, rassemblaient ces communautés dans une ferveur partagée.
Le commerce, route vivante de la solidarité
Les caravanes touarègues transportaient le sel et l’or vers les marchés songhaï et zarma. Ce commerce ne se limitait pas aux biens : il favorisait les mariages, les alliances et un brassage culturel qui a façonné le Sahel.
L’unité politique d’hier
Des Almoravides au grand empire songhaï, des structures politiques ont intégré ces peuples dans un même espace administratif et commercial. Les Touaregs sécurisaient les routes, les Zarma administraient les provinces, les Songhaï faisaient rayonner le savoir.
Langues et cultures croisées
L’arabe, langue savante et diplomatique, cohabitait avec le tifinagh touareg et les alphabets arabes du songhaï et du zarma. Les traditions orales, poèmes « tindi » touaregs, épopées songhaï et récits zarma, véhiculaient des valeurs communes : courage, générosité, hospitalité.
Solidarité face aux épreuves
Lors des grandes sécheresses du XXe siècle, la coopération a permis de surmonter la famine : bétail touareg contre céréales songhaï et zarma. Cette entraide, inscrite dans les habitudes, reste un pilier du bon voisinage.
Les manuscrits, mémoire partagée
Les bibliothèques de Tombouctou et d’Agadez conservent des textes rédigés par des érudits songhaï, zarma et touaregs. Ces archives, menacées par le temps et les crises, sont les témoins matériels de l’unité intellectuelle du Sahel.
Pour un nouvel élan
Cet héritage commun appelle à l’action :
– restaurer l’enseignement de l’arabe comme langue savante ;
– préserver et numériser les manuscrits ;
– documenter et transmettre les traditions orales ;
– relancer les festivals culturels et les marchés transsahariens ;
– soutenir ensemble agriculture, pastoralisme et commerce.
Niamey, Gao, Agadez pourraient redevenir les points lumineux d’un réseau sahélien fondé sur l’unité et la coopération.
Une fraternité à réinventer
Touaregs, Songhaï, Zarma : trois peuples, une même civilisation. Des dunes du Ténéré aux rives du Niger, la mémoire partagée est un pont vers l’avenir. À Niamey, le serment d’unité résonne comme un engagement à transmettre ce tissu civilisationnel aux générations futures.