Mali : Arrestations en série à Bamako, une armée sous le joug de la suspicion

Par Mohamed AG Ahmedou 

Bamako retient son souffle. Ce ne sont ni les attaques du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) ni les coups de feu au front qui glacent la capitale, mais l’ombre sourde des arrestations massives qui frappent le cœur même de l’armée. En quarante-huit heures, deux figures respectées – le général de brigade Abass Dembélé, ancien gouverneur de Mopti et héros local, et la générale Nema Sagara, membre de l’état-major de l’armée de l’air – ont été arrêtées, rejointes par 31 autres officiers.

Aucun communiqué officiel, aucune preuve publique. Seuls circulent, de Kati à Koulikoro en passant par Bamako, les murmures d’un complot avorté et les soupçons d’une purge interne. Selon des sources sécuritaires, ces arrestations seraient liées à une tentative de renversement des cinq colonels putschistes au pouvoir depuis août 2020.

Un climat de peur plus que de loyauté

Dans les couloirs feutrés des casernes, le malaise est palpable. « Ici, on ne sait plus si l’on doit craindre l’ennemi ou nos propres supérieurs », confie, sous couvert d’anonymat, un officier stationné à Bamako. Pour les partisans du régime, ces interpellations relèveraient d’une « mesure préventive » afin d’éviter un nouvel effondrement institutionnel. Mais pour nombre d’observateurs, elles révèlent une fragilisation sans précédent de la chaîne de commandement.

Le paradoxe saute aux yeux : au nom de la « souveraineté nationale », le régime neutralise ses propres cadres militaires – ceux-là mêmes qui, hier encore, incarnaient la lutte contre l’insécurité. En l’absence de transparence, ces arrestations alimentent l’idée que Bamako s’enfonce dans une logique de pouvoir personnel, où la loyauté se mesure moins à la défense du pays qu’à l’alignement sur la junte.

Nema Sagara, symbole brisé

La générale Nema Sagara, l’une des femmes militaires les plus gradées d’Afrique, avait bâti sa réputation sur le terrain, au contact direct des populations vulnérables. Sa détention est perçue comme un coup porté à l’image d’une armée plurielle et méritocratique. Elle est par ailleurs la sœur jumelle du colonel Mariam Sagara, directrice adjointe de la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA), principal organe de communication et de propagande de la junte.

Une crise militaire sur fond de menace jihadiste

Ces tensions internes surviennent alors que le renseignement malien alerte sur un risque d’offensive de la katiba Macina, notamment dans les régions de Ségou, Koulikoro, Sikasso, Bougouni et Kita, avec Bamako elle-même placée en alerte maximale. Sur le terrain, la perte de contrôle est déjà visible : plusieurs zones stratégiques échappent à la présence régulière de l’armée, laissant les civils face aux groupes armés.

Pour les analystes, le timing est révélateur : au lieu de consolider l’unité des forces face à une menace existentielle, le pouvoir détourne son énergie vers la neutralisation interne. « C’est la logique de toutes les juntes fragiles : se protéger d’abord de l’ennemi intérieur, quitte à abandonner le front », explique un chercheur malien spécialiste des questions sécuritaires.

L’histoire malienne, un cycle de coups d’État

Depuis l’indépendance, l’histoire politique du Mali est jalonnée de putschs militaires – 1968, 1991, 2012, 2020 et 2021 – souvent déclenchés par des tensions internes dans l’armée. Dans ce contexte, les arrestations massives de ces derniers jours ravivent le spectre d’une nouvelle rupture brutale.

Transparence ou effondrement

À Bamako, le débat n’est plus seulement militaire : il est politique et moral. En marginalisant ses propres généraux, la junte d’Assimi Goïta prend le risque d’accélérer la désagrégation de l’appareil militaire et, par ricochet, de l’État. Sans une explication publique claire, ces officiers arrêtés risquent de devenir des figures de martyr – un rôle qui, dans l’histoire du Mali, a souvent précédé celui de chef de coup d’État.

La question demeure : la junte gouverne-t-elle pour la nation ou pour elle-même ? Si la réponse penche vers la seconde option, le danger ne viendra pas seulement des katibas jihadistes, mais bien de l’intérieur – des silences, rancunes et fractures qu’elle est en train de creuser dans son propre camp.

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