Sahel central : la Russie appelle au soutien international, mais son ombre paramilitaire pèse sur les civils

Par Mohamed AG Ahmedou

 

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger — regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) — seraient, selon Moscou, « l’avant-garde » de la lutte contre le terrorisme transafricain. C’est en tout cas le message qu’a porté Dmitri Tchoumakov, représentant permanent adjoint de la Russie auprès des Nations unies, lors d’une réunion du Conseil de sécurité.

« Pour parvenir à une stabilisation à long terme, il est nécessaire que la communauté internationale apporte un soutien collectif au Mali, au Burkina Faso et au Niger, car ces pays sont devenus, malgré eux, l’avant-garde de la lutte contre les groupes terroristes transafricains. Les tentatives de puissances étrangères de s’ingérer dans les affaires de la région sont contre-productives. »

Un discours calibré, mais qui soulève des interrogations : pourquoi ce message a-t-il été relayé non pas par les ambassades russes de Bamako, Niamey ou Ouagadougou, mais par l’ambassade de Russie… au Sénégal ? Et pourquoi ce ton conciliant alors que la présence militaire russe sur le terrain du Sahel central est accusée d’exactions sanglantes contre les populations civiles nomades — Touaregs, Arabes, Peuls, Soninkés et Dogons — déjà parmi les plus démunies au monde, et elles-mêmes victimes du terrorisme religieux qu’elles sont censées combattre ?

Une communication depuis Dakar, pas depuis le cœur de l’AES

Le choix de publier ce message via les réseaux sociaux de l’ambassade russe à Dakar, plutôt que ceux des représentations au Mali, au Niger ou au Burkina Faso, n’est pas anodin. Dakar est un hub diplomatique régional, siège de plusieurs médias et ONG de défense des droits humains internationaux, et perçu comme un espace plus « neutre » que les capitales de l’AES.

À Moscou, le discours sur le Sahel se veut offensif : la Russie y met en avant ses succès sécuritaires et ses alliances « anti-impérialistes ». À Bamako et à Ouagadougou, le ton est plus triomphaliste, mêlant rhétorique souverainiste et promesses de coopération militaire et minière. À Niamey, la communication est plus discrète, l’armée nigérienne restant prudente dans l’affichage d’un partenariat encore naissant.

À Dakar en revanche, Moscou choisit une posture diplomatique policée, orientée vers l’opinion publique internationale et les institutions multilatérales. Le message change subtilement : moins de slogans nationalistes, plus de références au multilatéralisme, à la dette et au développement.

Focus historique : la stratégie russe au Sahel central

La présence russe au Sahel central s’inscrit dans un contexte géopolitique plus large. Depuis le départ des forces françaises et européennes, Moscou s’est engouffré dans le vide sécuritaire laissé par ses rivaux.

2017-2021 : Des accords de coopération sécuritaire sont signés avec le Mali, puis élargis aux autres États sahéliens.

2022-2023 : Le groupe Wagner, déjà actif en Centrafrique et au Soudan, s’implante au Mali. Sa mission officielle : formation militaire et sécurisation de zones minières.

2024 : Création de l’Africa Corps, héritier officiel de Wagner, plus institutionnalisé mais utilisant les mêmes réseaux d’hommes et de matériels. Déploiements confirmés au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

2025 : Coopérations élargies au nucléaire civil et aux projets énergétiques, tout en maintenant une présence militaire discrète mais effective.

Le narratif russe consiste à se présenter comme un partenaire « libérateur » débarrassant la région des influences occidentales, tout en consolidant un accès privilégié aux ressources stratégiques (or, uranium, manganèse).

L’ombre des mercenaires sur les civils

Sur le terrain, la présence russe ne se résume pas à des discours. Des rapports d’ONG, ainsi que des témoignages recueillis dans le nord du Mali, accusent les supplétifs russes d’être impliqués dans des massacres de civils, en particulier au sein de communautés nomades et sédentaires des zones rurales dans les régions de Kayes, Nioro, Nara, Ségou, Tombouctou, Mopti, Douentza, Bandiagara, Kidal, Gao et Taoudeni.

À Moura, au Mali, plusieurs centaines de personnes auraient été exécutées lors d’une opération militaire conjointe armée malienne–Wagner en 2022. Les victimes, majoritairement peules, touarègues et arabes, étaient accusées de collusion avec les jihadistes — sans preuves tangibles selon des sources  locales très solides avec des documents des ONG sur ces crimes.

Ces populations, déjà frappées par l’extrême pauvreté et par les attaques terroristes, se trouvent prises entre deux feux : les violences jihadistes d’un côté, les représailles aveugles des forces locales et étrangères de l’autre.

L’échec syrien comme arrière-plan

Le discours de M. Tchoumakov prend une dimension particulière lorsqu’on le compare à l’expérience russe en Syrie. Pour Moscou, Damas représentait une priorité géopolitique vitale. Au Sahel, l’investissement est moindre, plus opportuniste.

En Syrie, la Russie a mobilisé des moyens aériens, navals et diplomatiques massifs. Au Sahel, l’engagement est surtout terrestre et paramilitaire, avec des relais politiques locaux. L’appel au « soutien collectif » pourrait donc marquer un début de désengagement prudent, voire un transfert des responsabilités vers d’autres acteurs.

Retrait ou repositionnement ?

La question se pose : la Russie prépare-t-elle un retrait anticipé du Sahel ? Si l’histoire syrienne a montré sa capacité à durer sur un terrain difficile, le Sahel n’offre pas la même valeur stratégique pour Moscou. Les ressources minières, si attractives soient-elles, ne justifient pas nécessairement un engagement prolongé face à un environnement sécuritaire incontrôlable.

L’appel au multilatéralisme depuis Dakar ressemble autant à une main tendue qu’à une volonté de partager — ou déléguer — la charge de la stabilisation.

En filigrane, la réalité demeure : au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la Russie n’est pas qu’un allié diplomatique. Elle est un acteur militaire, parfois clandestin, accusé de graves violations des droits humains, et dont les priorités pourraient changer plus vite que ne l’imaginent ses partenaires sahéliens.

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