Burkina Faso : la diversion sportive au sommet d’un État en ruine

Par Mohamed AG Ahmedou.

Analyse – Tribune appuyée sur le témoignage de Newton Ahmed Barry via une publication sur la situation chaotique au Burkina Faso.

Depuis le palais présidentiel de Ouagadougou, une étrange mélodie résonne chaque semaine : les rires feutrés de quelques anciennes gloires du football africain, des ballons frappés sur une pelouse fraîchement arrosée, et des caméras triomphantes filmant un capitaine-président en short. Pendant ce temps, le pays s’effondre, à feu et à sang.

Cette mise en scène anachronique, orchestrée par le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte au pouvoir depuis septembre 2022, se veut rassurante. Elle est surtout obscène. Car au même moment, les populations de Foutouri, de Djibo, de Koulpélogo ou de Diapaga pleurent leurs morts, ou fuient vers les frontières du Mali et de la Côte d’Ivoire. Le contraste est frappant. Et la diversion, trop grossière pour masquer une hécatombe.

La chronique implacable de Newton Ahmed Barry

Dans une tribune d’une rare intensité publiée le 3 août, l’écrivain et journaliste burkinabè Newton Ahmed Barry, ancien président de la CENI, dresse une comptabilité macabre des neuf derniers mois. Plus de 2000 militaires et VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) ont été tués, selon son analyse, pour une prétendue « reconquête » de 1,89 % du territoire national. Une reconquête que le ministre de la Défense, le général Kassoum Coulibaly dit Simporé, présente pourtant comme un succès stratégique.

La note est pourtant salée : Foutouri, Djibo, Sollé, Yamba, Solenzo, Diapaga, Partiaga, Bagamoussa, Dargo, Yalgo… La liste des localités tombées dans la terreur ou vidées de leurs habitants s’allonge chaque mois. Et aucune d’elles n’a été véritablement sécurisée de façon pérenne.

Des morts invisibles pour une image éclatante

Face à cette réalité brutale, le pouvoir militaire a choisi une autre stratégie : la communication. Une communication théâtrale, spectaculaire, presque sportive. Depuis quelques semaines, le palais de Koulouba est devenu un terrain de football VIP où l’on voit défiler Patrick Mboma, El Hadji Diouf ou encore Emmanuel Adebayor. Des images soigneusement relayées par les médias publics. L’objectif est clair : susciter un récit de stabilité et de normalité, vendre au monde – et au peuple burkinabè – l’image d’un pays debout.

Mais c’est une illusion. Newton Ahmed Barry le dit sans ambages : « À ce rythme et à ce coût, il faudra encore huit ans et 24.000 morts pour reconquérir le reste du territoire. » Une phrase qui claque comme une gifle dans un pays qui s’habitue au silence sur les morts, aux bilans officiels tronqués, et aux enterrements discrets.

La junte, entre arrogance et impuissance

Ibrahim Traoré, jeune capitaine auréolé au départ d’un certain soutien populaire, semble aujourd’hui avoir épuisé son crédit. Ses promesses de reconquête rapide, de dignité restaurée, de rupture souverainiste, s’étiolent dans un pays où plus de 60% du territoire est sous emprise des groupes armés terroristes, selon les chiffres de terrain.

Les chiffres que le régime ne dit pas, ce sont ceux des réfugiés internes : près de 2 millions de déplacés selon l’OCHA. Ceux qu’il tait, ce sont les désertions de soldats hagards, en sous-vêtements, apparaissant par petits groupes dans les villages de l’Est comme à Tankoalou ou à Matiacouali. Ceux qu’il réécrit, ce sont les bilans des attaques : à Solenzo, plus de 400 civils, femmes et enfants compris, ont péri, sans reconnaissance ni deuil national.

Le football comme opium de la souveraineté:

La junte burkinabè utilise le sport comme une anesthésie collective. Mais à force de vouloir masquer l’effondrement sécuritaire par des opérations de communication people, elle dévoie la souveraineté en la réduisant à un slogan sans contenu.

Or, un État souverain ne se contente pas d’organiser des matchs entre célébrités déchues : il protège ses populations, il sécurise ses routes, il garantit les droits fondamentaux. Rien de tout cela n’est assuré aujourd’hui. Au contraire, les libertés reculent, la presse est muselée, et les voix critiques comme celle de Newton Ahmed Barry sont de plus en plus rares – car de plus en plus dangereuses à exprimer.

À quand une politique de vérité et de courage ?

La tragédie du Burkina Faso n’est pas que militaire. Elle est morale. Un pays ne peut tenir que sur des mensonges si longtemps. La manipulation systématique des chiffres, le refus de reconnaître les morts, la glorification d’actions militaires inutiles, tout cela prépare une faillite d’État encore plus grande que celle déjà visible.

Le régime d’Ibrahim Traoré, s’il persiste dans cette politique de diversion permanente, court vers un mur. Il ne gagnera ni la guerre, ni les cœurs, à coups de ballons ronds et de communiqués de victoire. Le terrain qu’il faut reconquérir, ce n’est pas seulement géographique : c’est celui de la vérité, de la dignité, et de la vie humaine.

« On a les victoires que l’on peut », conclut un sage african.

Hélas, au Burkina Faso, on célèbre encore les défaites.

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