Par Mohamed AG Ahmedou journaliste et spécialiste des enjeux du Mali et du Sahel.

Le Mali s’enfonce dans l’impasse autoritaire. Le 1er août 2025, une initiative inédite a été lancée par le Front d’Opposition Démocratique et Pacifique (FODEP), regroupant plusieurs figures politiques et juristes maliens. Trois plaintes ont été déposées contre le colonel Assimi Goïta, président de la transition devenu président de la République sans élection, sans urnes, sans vote. Le chef de l’État, par ailleurs investi de fait pour un mandat de cinq ans renouvelable, est désormais poursuivi pour violation de serment, forfaiture et crimes contre la démocratie.
Un parjure documenté, une démocratie piétinée
Le 7 juin 2021, dans un geste solennel, Assimi Goïta prêtait serment devant Dieu et le peuple malien. Il jurait alors de respecter la Charte de la Transition, de préserver l’ordre républicain, de défendre les acquis démocratiques. Moins de quatre ans plus tard, ce serment est devenu le symbole d’une trahison fondatrice : en s’octroyant un mandat présidentiel de cinq ans sans passer par les urnes, en dissolvant près de 300 partis politiques, le Colonel Goïta foule aux pieds ses propres engagements et referme brutalement la parenthèse démocratique ouverte depuis 1991.
Le FODEP parle d’un “coup d’État juridique”. Pour ce collectif, la situation actuelle dépasse le simple cadre d’une dérive autoritaire. Elle constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement au sens du droit africain et international. En témoigne la triple saisine entreprise : au Mali, en Afrique, et devant l’ONU.
Obstruction judiciaire à Bamako, plainte refusée au tribunal
Première cible de cette offensive judiciaire : le tribunal de première instance en Commune III du district de Bamako, saisi pour parjure, usurpation de pouvoir et abus d’autorité. Mais au lieu d’enregistrer la plainte, le greffe a opposé une fin de non-recevoir, évoquant une “non-conformité” du dossier. Une manière, selon les plaignants, de bloquer arbitrairement une procédure pourtant légale.
« La terreur du régime s’est infiltrée jusque dans les palais de justice », dénonce un avocat proche du FODEP. « Même les greffiers, garants du fonctionnement judiciaire, participent désormais à l’obstruction. » Ce déni de justice est présenté comme la preuve ultime de la déliquescence institutionnelle du Mali sous le régime militaire.
Arusha et Genève : la bataille se déplace à l’international
Le second front est celui de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, à Arusha, saisie pour violation de la Charte africaine des droits de l’homme, notamment le droit à la participation politique, à la liberté d’association et à la liberté d’expression.
Enfin, une communication a été transmise au Comité des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève pour dénoncer la violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, traité auquel le Mali est partie. L’argumentaire repose sur le caractère non démocratique de la transition prolongée et sur les mesures répressives adoptées depuis mai 2025.
Dissolution des partis, arrestations arbitraires, médias bâillonnés
La plainte est fondée sur une triple accusation :
L’octroi illégal d’un mandat présidentiel sans vote, en contradiction directe avec l’article 9 de la Charte de Transition.
La dissolution des partis politiques, équivalent à une interdiction de la vie politique pluraliste : un recul historique sans précédent depuis 1991.
La répression systématique des voix dissidentes : arrestations d’opposants, exils forcés, interdictions de manifestations pacifiques et censure des médias.
« Le Mali vit aujourd’hui une dictature qui ne dit pas son nom », alerte un professeur de droit public basé à Bamako, contacté par téléphone. « Ce qui s’est passé en juillet 2025, c’est une reconfiguration autoritaire habillée en stabilisation institutionnelle. »
Une stratégie juridique inédite contre l’impunité militaire
Le FODEP adopte ici une stratégie judiciaire innovante : multiplier les leviers juridiques au niveau national, continental et international pour contourner le verrouillage interne du système judiciaire malien. L’objectif est triple : obtenir des condamnations individuelles, faire condamner l’État malien sur le plan international, et mobiliser la pression diplomatique.
Cette démarche s’inscrit dans un contexte africain marqué par une banalisation des transitions militaires prolongées, comme au Tchad ou au Burkina Faso. Mais pour le FODEP, le Mali, qui fut en 1991 le laboratoire démocratique de l’Afrique de l’Ouest, ne peut devenir le laboratoire d’une nouvelle forme de dictature militaro-légale.
Demandes fortes et calendrier resserré
Les plaignants réclament, entre autres :
La condamnation du général Goïta pour crimes contre la démocratie ;
L’annulation de toutes les mesures anticonstitutionnelles ;
La réhabilitation immédiate des partis politiques dissous ;
La libération de tous les détenus politiques ;
L’organisation d’élections démocratiques dans un délai de 12 mois.
Un appel à la solidarité démocratique africaine
Le FODEP lance également une campagne de mobilisation internationale, afin d’alerter les chancelleries, les organisations de défense des droits humains, les diasporas et les médias internationaux. Pour eux, le sort de la démocratie malienne est un enjeu régional.
« Le silence face à un parjure aussi manifeste serait une abdication collective de notre responsabilité démocratique », conclut le communiqué.
Contact presse : Front d’Opposition Démocratique et Pacifique (FODEP)
Email : fodep-mali@yahoo.fr