ASSIMI GOÏTA OU LE RETOUR DES FANTÔMES : MÉMOIRE BRISÉE D’UN MALI MILITARISÉ

Par Mohamed AG Ahmedou 

 « On ne naît pas dictateur, on le devient en oubliant les morts. », Témoignage anonyme, ancien prisonnier politique de Taoudénit.

Bamako, 2 AOÛT 2025.

La publication de Sambou Sissoko, « Assimi Goïta sur les traces de Moussa Traoré », fait l’effet d’un coup de semonce dans un pays où la mémoire est un champ de ruines, sciemment érodé par les silences officiels. En dressant avec rigueur la longue liste des victimes du régime militaire de Moussa Traoré, Sissoko ravive une plaie béante : celle de la répression d’État, recyclée aujourd’hui dans les pratiques autoritaires du colonel Assimi Goïta.

Car au Mali, la dictature n’est pas un accident de l’Histoire : elle est une tradition militaire.

Une mémoire confisquée

Entre 1968 et 1991, des centaines de Maliens — syndicalistes, étudiants, militaires, intellectuels — ont été arrêtés, torturés, déportés, tués. Sambou Sissoko rappelle les noms, les dates, les lieux : Taoudénit, Djikoroni, Kidal. Il cite Modibo Keïta, mort dans sa geôle en 1977 ; Abdoul Karim Camara, dit « Cabral », assassiné en 1980 ; ou encore les dizaines d’étudiants radiés, blessés ou tués pour avoir réclamé des bourses ou une éducation digne.

Un ancien président de la République, témoigne dans un échange confidentiel NDLR:

 « Il y a eu un choix politique de ne pas affronter ce passé. Nous avons préféré tourner la page sans jamais l’avoir lue. »

Mais cette amnésie, loin d’apaiser, a favorisé le retour du refoulé. En 2025, l’Histoire bégaie.

Assimi Goïta, ou l’héritage inversé de la révolution de 1991

Assimi Goïta, 44 ans, officier des forces spéciales, a pris le pouvoir par la force en août 2020. Cinq ans plus tard, le Mali est à nouveau gouverné par décrets militaires, les partis politiques marginalisés, la presse bâillonnée, l’opposition incarcérée ou en exil. Le destin de Moussa Mara, arrêté pour ses publications critiques, illustre ce durcissement.

Une fille d’un syndicaliste disparu sous Traoré, voit dans la junte actuelle un miroir inversé du passé :

« Mon père est mort pour que le multipartisme existe. Aujourd’hui, ce sont les enfants de la démocratie qu’on traque comme des ennemis. »

Réhabiliter les victimes, une urgence historique

L’article de Sambou Sissoko n’est pas une nécrologie : c’est une sommation. Une injonction à reconstituer une mémoire nationale fragmentée. Il propose un acte de résistance intellectuelle : redonner des noms aux oubliés, une voix aux effacés.

Ismaël Wagué, ministre de la Réconciliation, affirmait en juillet 2025 que « l’État malien ne combat que le terrorisme ». Mais la répression intérieure contredit cette ligne officielle. À Bamako, Gao, Ségou, les arrestations arbitraires se multiplient.

Un avocat malien, sous anonymat, affirme :

« Nous défendons des gens emprisonnés sans chefs d’accusation, pour des publications sur les réseaux sociaux Facebook, X et WhatsApp. C’est Kidal, version numérique. »

L’enjeu : écrire l’Histoire, pas l’effacer

Le silence officiel sur les crimes de Moussa Traoré est un crime en soi. Or, cette impunité s’est muée en permis de répression pour ses héritiers putschistes. En cela, la continuité entre les années 1970 et aujourd’hui n’est pas seulement symbolique : elle est structurelle, mentale, militaire.

Une  femme intellectuelle engagée du mouvement démocratique au Mali de 1990, conclut avec amertume :

 « Nous avons cru en 1991 que la liberté était acquise. Mais la liberté, si elle n’est pas enseignée, commémorée, défendue, devient un privilège — pas un droit. »

Pour une commission vérité et mémoire

À la lumière de cette fresque mémorielle, une question centrale émerge : Quand le Mali affrontera-t-il enfin son passé dictatorial ?

Sambou Sissoko plaide pour une commission vérité-mémoire, non pour juger, mais pour documenter, reconnaître, honorer.

C’est une urgence civique, démocratique, existentielle.

Un dernier mot

La dictature n’est jamais morte. Elle sommeille dans chaque discours d’exception, chaque décret d’expulsion, chaque prisonnier d’opinion. L’œuvre de Sambou Sissoko est donc salutaire : elle nous rappelle que les régimes passent, mais les victimes restent. Tant que leurs noms ne seront pas gravés dans la conscience nationale, le Mali vivra dans un perpétuel état de guerre contre sa propre mémoire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top