Sahel : l’Afghanisation silencieuse du Mali et des États de l’AES sous influence russe

Par Mohamed AG Ahmedou

Journaliste, Consultant , spécialiste des dynamiques sahéliennes

Mopti, Delta intérieur du Niger. Une embuscade meurtrière, survenue ce jeudi 1er août 2025 dans le cercle de Ténenkou, a une nouvelle fois rappelé la spirale de violence dans laquelle s’enfonce le Mali depuis le renversement du régime démocratique en 2020. Quatre mercenaires russes de l’Africa Corps auraient été tués par des combattants peuls de la katiba du Macina, branche locale du JNIM affiliée à Al-Qaïda. Dans ce convoi visé, figuraient également des soldats maliens qui ont trouvé la mort, sans que les autorités n’en donnent le bilan exact.

Une attaque de plus, sur un théâtre d’opérations de plus en plus illisible, dans un pays devenu le laboratoire brutal d’une guerre contre-insurrectionnelle asymétrique, désormais sous-traitée à la Russie par une junte militaire malienne sans boussole stratégique.

Une armée otage de ses alliances

Depuis le retrait de la force française Barkhane et la fin des coopérations occidentales, le Mali s’est tourné vers Moscou, troquant ses anciennes alliances pour une nouvelle tutelle. Sous couvert de partenariat militaire, les mercenaires de Wagner, aujourd’hui regroupés sous la bannière d’Africa Corps, opèrent en toute impunité dans les zones rurales, notamment au centre et au nord du pays.

Leurs méthodes sont brutales, leur efficacité douteuse, leur présence anxiogène. Dans les régions du delta central – où cohabitaient autrefois Touaregs, Arabes, Peuls et Bambaras –, les témoignages s’accumulent sur les exécutions sommaires, les disparitions forcées, et les représailles collectives contre des civils accusés de complicité avec les djihadistes. Les communautés nomades, en particulier, paient un lourd tribut à cette logique de guerre.

Une stratégie du chaos ethnique

La junte de Bamako – comme celle de Ouagadougou – mène une guerre sans distinction, ni finesse, où le fait d’appartenir à une communauté stigmatisée suffit à faire de soi une cible. Dans ce jeu cynique, les clivages ethniques sont instrumentalisés. Au lieu de désamorcer les tensions, les États militaires les exacerbent.

La rhétorique belliqueuse contre les Peuls dans le centre, les Touaregs et Arabes dans le nord, entretient une logique de punition collective qui alimente les rancœurs, renforce les enrôlements dans les groupes armés, et annihile toute perspective de réconciliation.

L’État malien ne combat plus le terrorisme, il mène une guerre sociale, identitaire, et géopolitique, dans laquelle les civils sont les principales victimes.

Une AES en voie de scolarisation sécuritaire

Au-delà du Mali, c’est tout l’espace de l’Alliance des États du Sahel (AES) – ce bloc formé par le Mali, le Burkina Faso et le Niger – qui s’enfonce dans une logique de militarisation autocratique. À défaut de légitimité démocratique, les juntes s’inventent une souveraineté musclée et répressive, avec la bénédiction de la Russie, de plus en plus active dans la région à travers des accords opaques et une diplomatie de la peur.

Ce choix stratégique mène à une afghanisation progressive du Sahel central : une guerre sans fin, des alliances tribales éphémères, une économie de guerre qui prospère sur le chaos, et des États délégitimés, dont les capitales sont coupées de leurs périphéries.

Et le feu gagne du terrain. Des groupes affiliés à l’État islamique ou à Al-Qaïda opèrent désormais aux frontières du Bénin, du Togo, du Ghana, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée, du Sénégal et même de la Mauritanie tandis que les armées nationales de ces pays tentent, dans l’urgence, de sécuriser leur territoire face à la contagion.

Et maintenant ?

La question n’est plus seulement celle de la lutte antiterroriste, mais celle de la nature des régimes politiques au Sahel, de leur rapport à la souveraineté, à la gouvernance, et à leurs propres populations. Tant que la stratégie sécuritaire reposera sur la répression, la vengeance, l’externalisation de la violence à des mercenaires étrangers, aucun retour à la stabilité ne sera possible.

Le Mali, comme ses voisins burkinabè et nigérien, doit sortir de la spirale de la brutalisation politique et sécuritaire. Sans quoi, l’histoire retiendra que ces États, au nom d’une souveraineté mal comprise, auront troqué l’occupation néocoloniale pour une soumission géostratégique meurtrière, plongeant leur peuple dans une guerre perpétuelle.

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