Mali – Les contre-vérités d’Ismaël Wagué : une réconciliation à sens unique

Par Mohamed AG Ahmedou – Analyste politique et sécuritaire du Mali et du Sahel.

Mopti, théâtre d’un discours de propagande

C’est dans la ville symbolique de Mopti, épicentre des tensions intercommunautaires et des violences d’État ces dernières années, que le ministre malien de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale, le Général de Corps d’Armée Ismaël Wagué, a choisi de s’exprimer, dans l’émission Mali Kura Taasira3. Un discours à forte portée symbolique, mais truffé de contre-vérités et de manipulations historiques.

« Le seul combat de l’État, c’est contre le terrorisme, pas contre les communautés », a-t-il affirmé, dans une tentative manifeste de réécriture de l’histoire récente du Mali. Pourtant, depuis le coup d’État militaire du 18 août 2020, dont Wagué est l’un des principaux instigateurs, les faits parlent d’eux-mêmes : l’État malien sous la junte a régulièrement confondu lutte antiterroriste et répression contre des populations civiles, principalement peules, touarègues et arabes.

Moura, 2022 : un massacre sous silence

En mars 2022, la localité de Moura, dans le centre du pays, a été le théâtre d’un des crimes de guerre les plus documentés de ces dernières années au Mali. Pendant plusieurs jours, des centaines de civils – principalement de l’ethnie peule – ont été exécutés sommairement par les Forces armées maliennes (FAMa) et leurs supplétifs russes de Wagner. Le gouvernement, plutôt que d’ouvrir une enquête indépendante, a préféré l’omerta. À ce jour, aucun responsable n’a été inquiété.

Wagué, alors déjà ministre de la Réconciliation, n’a jamais dénoncé ce massacre. Pire encore, son silence face aux exactions militaires s’est doublé d’un discours lénifiant niant toute responsabilité étatique. L’auto proclamé Général de Corps d’armées veut désormais se poser en artisan de la paix, alors que la junte à laquelle il appartient a institutionnalisé une violence d’État contre des communautés entières.

Une junte au service de la guerre, pas de la paix

Depuis 2021, la collaboration entre Bamako et le groupe paramilitaire Wagner a transformé le Mali en un laboratoire de la terreur contre ses propres populations. Les frappes de drones sur les campements nomades dans le nord, les opérations dites de « ratissage » dans les cercles de Douentza, Ténenkou, Ménaka, Niafunké , Kidal, Bourem, Abeibara, Tessalite, Goundam ou Gourma-Rharous, visent bien souvent des civils non armés, sous prétexte de lutte contre le jihadisme.

Les populations touarègues et arabes du nord, tout comme les communautés peules du centre, ont été régulièrement stigmatisées comme « complices » ou « terroristes » sans preuve, simplement en raison de leur appartenance ethnique ou de leur mode de vie nomade.

L’hypocrisie d’un discours d’apaisement

Face à cette réalité brutale, les paroles de Wagué résonnent comme une provocation :

« L’État protège toutes ses composantes sans distinction » ;
« Il n’existe aucune politique d’exaction contre une ethnie ».

Ces propos, prononcés avec aplomb à Mopti, nient l’évidence. Le discours officiel malien se veut unifié, mais il sert surtout à dissimuler l’absence d’un projet réel de justice transitionnelle. La promesse d’intégrer 3 000 ex-combattants dans l’armée nationale reste floue, sans critères transparents ni garanties de sécurité pour les anciens rebelles issus des mouvements touaregs ou arabes.

Quant aux « projets de réparation des préjudices » ou à la « création d’un centre pour la paix », ils relèvent plus de l’incantation que de la réalité. Aucun programme sérieux de dédommagement des familles de Moura ou d’autres victimes civiles n’a été enclenché.

Une paix sous contrôle militaire

La paix que revendique aujourd’hui Ismaël Wagué est une paix armée, imposée par la force et l’élimination des voix dissidentes. La junte a systématiquement neutralisé la société civile, muselé les médias, suspendu les partis politiques et éradiqué tout contre-pouvoir.

Les accords d’Alger sont enterrés sans débat, les représentants de l’Azawad marginalisés, et le concept même de réconciliation est vidé de son sens : on ne peut pas parler de paix sans justice, ni de cohésion nationale sans vérité.

Des mots pour couvrir des crimes

Le discours d’Ismaël Wagué à Mopti est l’expression la plus cynique d’un régime qui a fait de la répression un mode de gouvernement et de la propagande un outil de dissimulation. Derrière l’affirmation d’un combat exclusif contre les terroristes, se cache une politique de bouc-émissarisation ethnique, de violence étatique et de manipulation mémorielle.

La communauté internationale, aujourd’hui largement silencieuse, devra un jour répondre de sa complaisance face à ces dérives. Quant au peuple malien, il mérite mieux qu’une paix imposée par les colonels : il mérite la vérité, la justice, et la dignité.

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