Par Fatim Walet – Tribune

Une doctrine centralisatrice née dans un contexte particulier
Le jacobinisme, concept politique issu de la Révolution française de 1789, repose sur un socle idéologique clair : assurer l’unité de la nation par l’uniformisation de l’État.
Ce modèle s’est articulé autour de quatre piliers fondamentaux : centralisation du pouvoir à Paris, homogénéisation des lois et des institutions, effacement des particularismes régionaux, et construction d’un citoyen abstrait, coupé de son appartenance culturelle ou ethnique.
En France, cette doctrine s’est imposée au prix de plusieurs siècles de tensions, de luttes politiques et de répression des langues régionales. Elle n’a pu triompher que grâce à un État fort, doté d’une capacité coercitive durable.
Le transfert postcolonial : l’illusion d’un modèle universel
Au lendemain des indépendances africaines dans les années 1960, nombre d’États francophones , dont le Mali, ont reproduit, sans adaptation, ce schéma jacobin.
Pourquoi ? Parce que les élites postcoloniales, formées dans les institutions françaises ou coloniales, ont intériorisé l’idée selon laquelle l’unité nationale devait s’ériger contre la diversité. Résultat : un État centralisé autour de Bamako, une langue dominante – le bambara, aux côtés du français, imposée au détriment des autres langues nationales (tamasheq, peul, dogon, songhaï…), et une marginalisation politique et symbolique des périphéries.
Le cas malien : une démonstration éclatante des limites du jacobinisme
Le Mali est souvent présenté comme un jeune État-nation en construction. Mais cette entité repose sur un découpage colonial artificiel, englobant des peuples aux histoires, langues et structures sociales radicalement différentes.
En adoptant le jacobinisme à la française, les régimes successifs – de Modibo Keïta à la junte actuelle – ont perpétué un modèle d’assimilation culturelle forcée. La marginalisation des Touaregs, Peuls, Soninkés, Dogons et d’autres groupes, l’exclusion persistante des non-Mandingues des centres de décision, et la répression violente des mouvements autonomistes (notamment les rébellions touarègues de 1963, 1990, 2006, 2012), témoignent de cette logique verticale.
Le pouvoir central, dominé par une élite francophone mandingue, a souvent fonctionné dans l’impunité, creusant les fractures identitaires et alimentant une spirale de crises.
Un modèle inadapté à la réalité africaine
L’Afrique postcoloniale, à la différence de la France du XVIIIe siècle, est marquée par une diversité ethnique, linguistique et religieuse profonde. Les frontières héritées de la colonisation sont souvent arbitraires, sans fondement historique ou culturel.
Dans ce contexte, l’imposition d’une langue unique, d’un centre unique, et d’une culture uniforme revient à nier la complexité du tissu social africain. Ce déni nourrit résistances, rancœurs et, parfois, révoltes armées.
Vers un autre modèle : fédéralisme et pluralisme
Pour sortir de cette impasse, une refondation de l’État s’impose. Deux pistes semblent particulièrement pertinentes.
Le fédéralisme permet une distribution plus équilibrée du pouvoir entre le centre et les entités régionales. Il favorise l’autonomie locale, reconnaît les spécificités culturelles et linguistiques, et peut contribuer à apaiser les tensions en intégrant les revendications des peuples marginalisés.
Le pluralisme culturel et linguistique, quant à lui, suppose la reconnaissance de plusieurs langues officielles, l’enseignement des histoires régionales, et une valorisation des identités locales comme composantes d’un récit national commun.
Le Mali, miroir des limites d’un modèle hérité
Le drame malien ne s’explique pas par un excès de diversité, mais par l’incapacité de l’État à la reconnaître et à l’organiser. L’unité fondée sur l’uniformité s’est révélée illusoire. Le jacobinisme a généré des blessures invisibles, des frustrations profondes, et une défiance durable vis-à-vis du pouvoir central.
Reconstruire l’unité par la diversité
Il est temps pour l’Afrique de cesser de plaquer des modèles conçus ailleurs, dans des contextes étrangers à ses réalités. Le rêve d’unité ne doit pas se faire contre la diversité, mais avec elle.
La stabilité du Mali, comme celle de nombreux pays africains, passera par la reconnaissance que la richesse d’une nation ne réside pas dans sa capacité à effacer les différences, mais à les faire dialoguer. La pluralité n’est pas une menace, mais une chance – à condition d’en faire un pilier de la refondation politique.