Burkina Faso : Le silence muselé d’une nation – Le cas Hermann Yaméogo, un nouvel épisode dans la dérive autoritaire du capitaine Traoré

Par Mohamed AG Ahmedou

 

Le 27 juillet 2025, Me Hermann Yaméogo, éminent avocat, figure politique respectée et fils du premier président du Burkina Faso, a été enlevé à Ouagadougou, ce 26 juillet par des militaires opérant sous l’autorité du capitaine Ibrahim Traoré, a-t-on appris de sources locales. Âgé de 77 ans et récemment revenu de Côte d’Ivoire où il avait séjourné pour raisons médicales, Hermann Yaméogo n’est pas un acteur politique subversif, encore moins un instigateur de troubles. Son « crime » semble se résumer à une publication critique, sobre mais lucide, sur la situation du pays, dénonçant la dérive sécuritaire et le risque de voir la lutte contre le terrorisme se transformer en guerre de libération nationale.

Une tribune d’alerte, non une déclaration de guerre

Dans cette analyse publiée quelques jours avant son enlèvement, Hermann Yaméogo alertait, avec la gravité d’un homme d’expérience, sur les dangers d’un glissement progressif du conflit actuel vers une insurrection plus profonde, mue par des revendications sociales, politiques et démocratiques. En somme, une réflexion nourrie sur la confusion des rôles entre groupes armés, opposition politique muselée et un État militarisé qui semble confondre autorité et autoritarisme.

La réponse des autorités ne s’est pas fait attendre : en lieu et place d’un débat ou d’une réplique argumentée, c’est la force qui a parlé. Enlevé sans procédure légale, dans une capitale où l’intimidation est devenue une méthode de gouvernance, Me Yaméogo rejoint la longue liste des voix contraintes au silence.

Une méthode désormais bien rodée

Ce n’est pas la première fois que le régime du capitaine Traoré, à la tête du pays depuis le coup d’État d’octobre 2022, recourt à ce type de pratiques. En 2023, Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères et figure consensuelle de la diplomatie burkinabè, alors âgé lui aussi de 77 ans, avait été arrêté sans ménagement. Il fut ensuite envoyé de force sur le front, intégré de facto dans les rangs des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), une milice civile armée et souvent mal encadrée, créée pour pallier les faiblesses d’une armée nationale éprouvée.

Ces agissements constituent des violations flagrantes des libertés fondamentales, et plus précisément du droit à la sûreté de la personne, de la liberté d’expression, et du respect de la dignité humaine. La rhétorique souverainiste utilisée par le régime pour justifier ses actions ne masque plus la réalité : Ibrahim Traoré gouverne aujourd’hui par la peur.

Le vernis oratoire du capitaine

Le jeune capitaine burkinabè, dont les discours métaphoriques en français ont parfois été salués pour leur lyrisme et leur ton souverainiste, continue de séduire certains cercles panafricanistes. Il est souvent présenté comme le plus « inspiré » des chefs de la troïka militaire du Sahel, à côté d’un Assimi Goïta plus opaque au Mali et d’un Abdourahamane Tiani plus rigide au Niger. Mais cette posture verbale tranche violemment avec la réalité vécue par les citoyens, intellectuels, journalistes ou simples activistes du Burkina Faso.

Le verbe du capitaine ne saurait masquer l’absence de débat pluraliste, la répression des voix discordantes, ni l’existence de milices supplétives qui brouillent les frontières entre guerre légitime et violence arbitraire. À ce jour, les partis politiques sont dissous ou réduits à l’impuissance, les syndicats sous pression, et les rares médias indépendants vivent sous menace permanente.

Le silence comme arme

Ce qui se joue au Burkina Faso dépasse le sort d’Hermann Yaméogo. Ce n’est pas seulement un homme qui a été arrêté. C’est l’idée même de la libre pensée, du débat intellectuel, du devoir de lucidité dans un moment historique périlleux. En s’attaquant à un homme d’âge avancé, malade, et porteur d’une mémoire politique nationale, le régime Traoré tente d’imposer une nouvelle équation : critiquer, c’est trahir. Réfléchir, c’est conspirer.

Le silence imposé par la peur devient ainsi une arme stratégique, permettant de gouverner sans opposition réelle. Mais c’est aussi une arme à double tranchant : en muselant les voix sages et les modérés, le régime risque de laisser le champ libre aux radicalismes, aux colères non canalisées, aux insurrections désespérées.

Un cri qui résonne

La tribune de Me Yaméogo n’appelait pas à la rébellion. Elle implorait la raison. Elle appelait à l’humilité des dirigeants et au retour à un dialogue entre Burkinabè. Elle mettait en garde contre l’arrogance du pouvoir et les illusions d’une victoire par la seule violence. En l’étouffant, les autorités n’ont pas réduit le danger : elles l’ont renforcé.

Car l’Histoire, dans cette région du monde comme ailleurs, montre que l’on ne fait pas taire une nation par décret ou par intimidation. Et lorsque le droit d’alerter devient un motif d’enlèvement, il ne reste souvent que deux chemins : la peur soumise, ou la rupture brutale.

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