Par Mohamed AG Ahmedou.

Deux ans après l’irruption fracassante du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) dans l’arène politique nigérienne, le pays semble enfermé dans un tunnel sans fin, où les slogans ont remplacé la stratégie, et le discours souverainiste tient lieu de gouvernance. Dans une tribune lucide et sans complaisance, publiée ce 26 juillet, l’analyste politique Abdoulahi Attayoub, président de l’organisation de la diaspora touarègue en Europe ODTE, dresse un état des lieux accablant : celui d’un État sans boussole, dont la transition militaire se mue progressivement en impasse politique, sécuritaire et diplomatique.
L’écrivain et consultant, établi à Lyon, parle d’un Niger qui « évolue dans une zone grise institutionnelle, sans cap clair, sans échéancier crédible, sans projet cohérent. » Un constat que l’on ne peut qu’approuver à l’épreuve des faits. Deux ans après avoir renversé le président élu Mohamed Bazoum, les militaires au pouvoir semblent englués dans une logique de repli et d’improvisation, bien loin des aspirations populaires de rupture avec les pratiques anciennes de gouvernance.
Un pouvoir sans colonne vertébrale
Dès les premiers jours de leur prise de pouvoir, les membres du CNSP se sont posés en libérateurs d’un peuple trahi par ses élites. Mais très vite, cette posture a cédé la place à une gestion solitaire du pouvoir, marquée par la personnalisation des décisions, le flou institutionnel, et l’émergence d’un autoritarisme rampant. Le Conseil consultatif de transition, censé jeter les bases d’un dialogue national inclusif, n’est qu’un organe décoratif, peuplé de figures proches du régime. Loin de jouer son rôle d’instance de régulation, il incarne aujourd’hui ce qu’Attayoub qualifie avec justesse d’ »anomalie institutionnelle budgétivore. »
Cette dérive n’est pas seulement une faute politique. Elle est un signe inquiétant d’un pouvoir qui, en l’absence de contre-pouvoirs effectifs, peine à se renouveler intellectuellement et à définir une trajectoire claire pour le pays.
Le mirage de la souveraineté
Le CNSP a fait du mot « souveraineté » le totem de sa rhétorique. Pourtant, comme le rappelle Attayoub, « revendiquer la souveraineté ne saurait se faire au détriment de l’intérêt national. » Or, les ruptures diplomatiques avec des partenaires historiques, notamment la France, les États-Unis, la CEDEAO et même le Nigeria, ont affaibli les marges de manœuvre du Niger dans un contexte régional pourtant explosif.
L’adhésion précipitée à l’Alliance des États du Sahel (AES) aux côtés du Mali et du Burkina Faso n’a été ni débattue ni soumise à un véritable consensus national. Elle illustre une fuite en avant diplomatique, où les grandes déclarations remplacent les stratégies de long terme. Loin de faire émerger une alternative crédible à la CEDEAO, l’AES reste une coquille institutionnelle fragile, portée par des régimes en transition et minée par des incertitudes internes.
Un État en retrait, un territoire fragmenté
Sur le terrain, l’échec est plus visible encore. Le CNSP, qui promettait de « reprendre le contrôle du territoire et de garantir la sécurité des populations », ne parvient toujours pas à inverser la tendance. Dans les régions de Tillabéri, Tahoua, Diffa ou Dosso, la présence de l’État est réduite à peau de chagrin. Les groupes armés, profitant du vide sécuritaire et du désintérêt international croissant, continuent de semer la terreur.
Quant à Mohamed Bazoum, maintenu en détention arbitraire depuis deux ans, il est devenu malgré lui le symbole du blocage institutionnel et de l’affaiblissement de l’État de droit. Abdoulahi Attayoub insiste, à juste titre, sur la nécessité d’une « sortie apaisée, respectueuse des fonctions qu’il a occupées. » Il en va non seulement de la dignité d’un homme, mais aussi de la crédibilité des institutions nigériennes.
Le besoin d’un sursaut
Le Niger est à un tournant critique de son histoire contemporaine. Les élites politiques, intellectuelles, traditionnelles et religieuses doivent sortir de leur réserve. L’alternative à l’échec du CNSP ne peut être ni le fatalisme ni l’exil intérieur des forces vives du pays. Il faut un « sursaut national », selon les termes d’Attayoub, pour remettre la République sur ses rails : réhabiliter le débat public, restaurer les libertés, et reconstruire les institutions dans une logique d’inclusion et de responsabilité.
Le moment est venu de sortir des postures victimaires pour entrer dans une politique de la reconstruction, fondée sur le pragmatisme, le respect des principes républicains, et l’écoute des aspirations profondes d’un peuple qui, malgré les épreuves, continue de croire à un avenir possible.