Entretien avec Oumar Moctar Alansary : « Le Niger mérite mieux qu’une autocratie militaire »

Propos recueillis par Mehari Post

Deux ans après le coup d’État du 26 juillet 2023 qui a renversé le président Mohamed Bazoum, Mehari Post donne la parole à Oumar Moctar Alansary, ancien dirigeant du parti Renouveau Démocratique et Républicain, dissous par la junte militaire. Opposant farouche au régime Bazoum qu’il accusait de fraudes électorales, mais également critique intransigeant du coup d’État mené par le général Abdourahamane Tchiani, M. Alansary fait le point sur la situation politique, sécuritaire et sociale du Niger, et partage sa vision pour l’avenir du pays.

Deux ans après le coup d’État, comment jugez-vous la performance du Conseil militaire ?

Oumar Moctar Alansary : Le Conseil militaire, dirigé par le général Tchiani, a lamentablement échoué à concrétiser ses promesses fallacieuses de souveraineté nationale. Ils ont suspendu la Constitution, dissous les partis, réduit au silence toute voix libre, et provoqué des sanctions économiques qui ont plongé le pays dans la misère. Ce coup d’État fut une faute politique majeure.

Quel est l’état de la démocratie au Niger aujourd’hui ? Y a-t-il un espoir de restauration ?

Alansary : La démocratie nigérienne est tragiquement piétinée. Plus d’institutions élues, plus de pluralisme. Mais la flamme de la liberté ne s’éteint pas. Il reste un espoir : un dialogue national inclusif, hors de l’emprise militaire, soutenu par la pression internationale.

Vous aviez appelé à l’unité politique. Cet appel a-t-il été entendu ?

Alansary : Non. Malheureusement, les fractures politiques et ethniques ont été instrumentalisées par les militaires pour diviser et régner. L’absence de plateforme de dialogue, la peur de la répression et les séquelles des fraudes de 2021 ont empêché l’unification. Mais l’appel à l’unité reste plus que jamais vital.

Votre position envers Bazoum a-t-elle évolué depuis le coup d’État ?

Alansary : Non. Je maintiens que Bazoum a été élu dans des conditions douteuses, avec des fraudes évidentes. Mais cela ne justifie aucunement un coup d’État. Ce dernier a aggravé la situation. Nous aurions dû corriger les erreurs de Bazoum par les urnes, non par les armes.

Que pensez-vous du Conseil de la Résistance formé pour restaurer Bazoum ?

Alansary : Je désapprouve leur approche armée. Cela a empiré l’insécurité et n’a reçu ni soutien populaire ni crédibilité. La résistance doit être pacifique, civique et fondée sur le dialogue, pas sur la violence.

Quel impact le coup d’État a-t-il eu sur la stabilité du pays ?

Alansary : Désastreux. L’armée s’est détournée de sa mission sécuritaire pour gérer le pouvoir, laissant le terrorisme prospérer. La population souffre, notamment 4,3 millions de Nigériens en insécurité alimentaire. Le chaos s’est amplifié.

Quelles conséquences ont eu les ruptures avec la France et les nouvelles alliances régionales ?

Alansary : L’annulation des accords avec la France a été un geste populiste, coûteux sur les plans sécuritaire et économique. L’ouverture aux juntes voisines a isolé le Niger de la CEDEAO, intensifié l’instabilité, et facilité l’infiltration de groupes terroristes. C’est une stratégie aventureuse et dangereuse.

Comment expliquez-vous le soutien populaire au coup, notamment via le mouvement M62, l’équivalent du M5-RFP du Mali, d’Abdoulaye Seydou, devenu ministre du commerce de la junte militaire du Niger récemment ?

Alansary : Ce fut une réaction de colère contre Bazoum, pas une adhésion aux militaires. Le peuple a été trompé. Aujourd’hui, beaucoup réalisent que le régime militaire n’a apporté ni pain ni paix.

Qu’en est-il des tensions ethniques, en particulier autour de la figure de Bazoum ?

Alansary : Les accusations ethniques à l’encontre de Bazoum sont infondées. Il a tenté de bâtir une gouvernance inclusive. Mais les militaires ont exploité ces soupçons pour diviser. La réponse réside dans un dialogue national représentatif de toutes les composantes ethniques du Niger.

La CEDEAO a-t-elle bien géré la crise ?

Alansary : Non. Ses menaces d’intervention militaire ont été contre-productives. Les sanctions ont puni le peuple au lieu des putschistes. Une médiation plus souple et diplomatique aurait été préférable.

Le Niger est-il pris dans un jeu de puissances étrangères ?

Alansary : Absolument. Bazoum a été perçu comme un homme de Paris et Washington. En retour, les militaires se sont jetés dans les bras de Moscou. Le Niger doit rester souverain et adopter une politique étrangère équilibrée, sans être le pion de qui que ce soit.

La médiation algérienne a-t-elle été une occasion manquée ?

Alansary : Oui. L’offre de transition de six mois méritait d’être étudiée. Mais l’obstination de la junte et l’absence de partis politiques légaux ont anéanti cette opportunité. Nous avons besoin d’une médiation plus ferme et impartiale.

Le rôle du Mali et du Burkina Faso dans la défense du Niger vous inquiète-t-il ?

Alansary : Cette alliance militaire déséquilibre la région. Elle isole le Niger de ses partenaires naturels et fragilise la lutte commune contre le terrorisme. Nous avons besoin de solidarité régionale fondée sur le développement, pas sur des pactes militaires hasardeux.

Quel avenir pour le Niger selon vous ? Un retour au civil est-il envisageable ?

Alansary : Oui, mais cela exigera de la persévérance. Les militaires ne lâcheront pas facilement. Il faut organiser des élections sous supervision internationale, avec une opposition unie. L’unité nationale est notre seule issue.

Quel rôle pour l’opposition aujourd’hui ?

Alansary : L’opposition doit se réinventer. Trois piliers sont essentiels : sensibilisation démocratique, création d’un front commun, et mobilisation de la communauté internationale. Et surtout, reconnaître nos erreurs passées pour regagner la confiance du peuple.

Quelles leçons tirer du coup d’État de 2023 ?

Alansary : Une démocratie fragile ouvre la porte aux putschs. Il faut donc renforcer les institutions, garantir des scrutins crédibles, intégrer toutes les composantes du pays, et maintenir l’armée dans son rôle républicain.

Comment cette crise a-t-elle modifié votre parcours politique ?

Alansary : Elle a renforcé ma conviction que seule la démocratie pacifique peut sauver notre pays. Je reste ferme contre Bazoum pour ses erreurs, mais encore plus résolu à m’opposer à l’autocratie militaire.

Avez-vous subi des pressions personnelles ?

Alansary : Oui, de nombreuses menaces et intimidations, en particulier après la dissolution de notre parti. Mais je reste debout, fidèle à mes principes, au contact des militants et des citoyens, et déterminé à défendre notre liberté.

Quel rôle pour les médias libres comme Mehari Post ?

Alansary : Vous êtes la voix de la vérité dans l’obscurité. Vous devez dénoncer à la fois les dérives du passé et les abus du présent. Organisez des débats publics, encouragez le dialogue national, et soyez les gardiens de notre dignité collective.

Propos recueillis par la rédaction de Mehari Post, le 26 juillet 2025.

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