Tinzawatene, un an après : silence complice sur les crimes de guerre au Sahel

Par Mohamed AG Ahmedou
Journaliste malien, en soutien à l’article d’Éric Topona publié sur Les Nouvelles de l’Afrique.

Le 27 juillet 2024, une date tragique s’est inscrite dans les annales de la guerre au nord du Mali : celle de la déroute sanglante des forces maliennes et de leurs alliés russes de Wagner à Tinzawatene, une localité frontalière stratégique avec l’Algérie. Un an plus tard, que reste-t-il de cette bataille ? Un cimetière de vérités, étouffées par les bombes, les drones, et le silence assourdissant des institutions africaines.

Dans une tribune incisive publiée sur Les Nouvelles de l’Afrique, le journaliste Éric Topona — rédacteur en chef de publications francophones à Deutsche Welle, basé à Bonn — décrit avec rigueur les dérives d’une guerre sale menée dans l’ombre, et rappelle que les exactions documentées de Wagner au Mali ne sont pas des allégations isolées, mais des crimes exposés au grand jour, vidéos à l’appui, diffusées par les mercenaires eux-mêmes sur la messagerie Telegram.

Ces images insoutenables — des civils humiliés, torturés, exécutés — ont été analysées et archivées par des chercheurs de l’université de Berkeley, avant d’être transmises à la Cour pénale internationale. Malgré l’impunité apparente dont bénéficient les mercenaires russes — désormais regroupés sous la bannière du Africa Corps, bras militaire officiel du Kremlin sur le continent — il n’est pas exclu que la chaîne de commandement militaire malienne soit à son tour inquiétée pour complicité ou passivité.

Mais ce que Topona évoque à demi-mot mérite d’être davantage éclairé : la transformation de Wagner en Africa Corps n’a pas changé la nature de leur présence en Afrique, ni leur mépris fondamental pour les populations locales. Les crimes perdurent. Ils s’aggravent même, dans une atmosphère de silence complice.

Une guerre invisible : les bombes de l’AES sur Tinzawatene et ses environs

Après la cuisante défaite de Tinzawatene, les représailles n’ont pas tardé. Selon des sources concordantes, dont des témoignages recueillis localement, du 30 au 31 juillet 2024, puis tout au long des mois de septembre et octobre, les armées de l’AES (Mali, Burkina Faso, Niger) ont mené des frappes aériennes dans le secteur de Tinzawatene, Ekharabane, et jusqu’aux abords de la frontière nigérienne. Des drones et des avions ont ciblé des zones habitées, des localités rurales, des axes de passage empruntés par des migrants sahéliens.

Le bilan est effroyable. Plus de 70 personnes tuées, dont une majorité de migrants en transit à travers le désert, originaires du Niger, du Burkina Faso, du Tchad et du Nigeria. Des enfants jouant dans la rue, une pharmacie entièrement détruite à Tinzawatene début septembre 2024, et 45 civils tués par des tirs de drones le 30 juillet, alors qu’aucun combattant armé n’était visé.

Le silence des États et l’indifférence de l’Union africaine

Ces massacres, assimilables à des crimes de guerre, sont restés lettre morte dans l’agenda des chefs d’État ouest-africains. Ni l’Union africaine, ni la CEDEAO, ni les gouvernements membres de l’AES n’ont réagi, pas même pour exprimer une « préoccupation ». Le silence est d’autant plus glaçant qu’il contraste avec le vacarme propagandiste des régimes militaires du Sahel, qui prétendent incarner un nouvel ordre souverain et populaire.

En réalité, cette souveraineté militaire s’exerce dans une verticalité autoritaire, au service d’intérêts sécuritaires qui piétinent les droits les plus fondamentaux des populations civiles. À force de vouloir se couper du reste du monde, ces juntes se sont enfermées dans une logique du pire, où toute contestation est assimilée à une trahison, et où tuer des innocents devient une stratégie de terreur pour briser les soutiens présumés aux groupes armés.

Une guerre sale au nom d’un mensonge : celui de la sécurité

Il faut le redire avec force : la guerre menée par les États de l’AES, sous-traitée en partie à des mercenaires russes, n’apporte ni stabilité ni sécurité. Elle fabrique du chaos. Elle détruit les tissus sociaux, elle expulse les populations, elle sème les graines d’un ressentiment durable, et elle crée des martyrs qui nourrissent les discours des extrémistes.

Dans ce contexte, le changement d’étiquette de Wagner en Africa Corps ne trompe personne. Le logiciel reste le même : domination brutale, pillage des ressources, destruction des structures sociales, mépris absolu des droits humains. La disparition de Prigojine n’a rien changé à l’affaire. Le Kremlin assume désormais officiellement le rôle d’architecte de cette tragédie africaine.

« Ils se croient maîtres d’un terrain qu’ils ne comprennent pas. Ils nous traitent comme des sous-hommes. », témoignage d’un habitant de Tinzawatène, juillet 2025

Que faire face à cette impunité ?

Les juridictions internationales doivent se saisir, en urgence, des preuves déjà existantes. Il en va de la crédibilité de la justice internationale, mais aussi de la protection des civils sahéliens. Quant aux sociétés civiles africaines, aux intellectuels, aux journalistes, aux étudiants, il leur revient de documenter, d’écrire, de dénoncer. Il faut briser le silence.

Le combat pour la vérité est peut-être long, mais il est irréversible. Le massacre de Tinzawatene ne doit pas rejoindre la longue liste des atrocités oubliées du Sahel.

Cet article est écrit en écho à la tribune d’Éric Topona, publiée sur le site « Les Nouvelles de l’Afrique », que l’auteur, Mohamed AG Ahmedou, remercie pour la rigueur et la lucidité de son analyse à travers une tribune très intéressante et pleine de consistance.
Qui est Éric Topona?

Éric Topona Mocnga est un journaliste de nationalité tchadienne qui a servi dans les médias audiovisuels publics et la presse privée (écrite) de son pays. Il a été également correspondant de médias internationaux, tels que BBC Afrique et la Deutsche Welle.

Qui est Mohamed AG Ahmedou ?

Mohamed Ag Ahmedou est un journaliste, analyste politique, médiateur et acteur engagé de la société civile malienne, particulièrement actif sur les enjeux du Sahel et de l’Azawad.

– Profil et activités

Il est journaliste formé par Médias Diversity Institute ( MDI) de l’Angleterre à travers le projet Dune Voices (2014-2017) qui une organisation internationale britannique de la très célèbre journaliste Serbe Militsa Pesic qui a aidé a pacifier l’Europe de l’Est après la guerre de l’éclatement de la Yougoslavie. Mohamed Ag Ahmedou est le directeur du cabinet Méhari Consulting, spécialisé dans la médiation communautaire, la gouvernance, la sécurité et le développement local, avec un accent sur les régions sur le Sahel et les régions du nord du Mali ( Azawad) dont Tombouctou, Gao, Kidal , Menaka et de Taoudéni.

Ancien pigiste pour plusieurs médias internationaux, dont Paris Match Afrique, Noorinfo, Point Afrique.fr, Anadolu, l’agence mauritanienne de presse, le journal du Mali et Mondafrique  .

Engagements et positions publiques

Secrétaire général du Mouvement pour la Transformation et la Réconciliation du Mali (MTRM), une plateforme issue de la diaspora malienne œuvrant pour la paix, le dialogue inclusif et la justice transitionnelle  .

Il occupe également le rôle de Député chargé des relations panafricaines au sein du Mouvement Tabalé des peuples autochtones du Sahel, qui dispose d’un gouvernement symbolique, un parlement et un centre de recherche  .

Tribune et analyses

Auteur prolifique sur le site Méhari-Consulting, il publie régulièrement des tribunes sur la situation politique et sécuritaire au Mali et dans la région Sahel, couvrant notamment :

la situation dans les pays du Sahel en général et dans la région de l’Azawad en particulier, avec des analyses très claires, précises, synthétiques sur  les violations des droits humains, les collisions sécuritaires et politiques dans ces régions.

les alliances géopolitiques,

la responsabilité des élites politques et militaires,

la nécessité d’un dialogue national sincère et d’une justice transitionnelle  .

Publication notable

Mohamed Ag Ahmedou a publié des analyses contributives sur les questions politiques de paix, de gouvernance ainsi que sur le dialogue communautaire et du développement local au Sahel sur des revues universitaires avec des universitaires ouest africains, européens et américains et pour des organisations spécialisées en matière de médiation.

Vision et posture

Mohamed Ag Ahmedou incarne une voix dissidente et alternative, qui plaide pour une reconstruction du Mali fondée sur la mémoire, la responsabilité collective et l’inclusion politique. Il insiste sur l’importance de reconnaître les souffrances passées, de promouvoir une justice authentique et de dépasser les logiques ethno-politiques qui fragmentent son pays,le Mali ainsi que les pays du Sahel et d’Afrique..

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