Par Mohamed AG Ahmedou journaliste et Analyste politique et sécuritaire sur le Sahel., ancien premier ministre et ministre des affaires étrangères du gouvernement malien en Exil.

Le 22 juillet 2025, Bamako devait être le théâtre d’un moment fondateur : la remise officielle de la « Charte nationale pour la paix et la réconciliation ». Ce texte, selon ses promoteurs, visait à marquer une nouvelle ère dans l’histoire tourmentée du Mali, plus d’une décennie après le début des conflits au nord du pays. Mais derrière les apparences cérémonielles et les sourires feints, nombreux sont ceux qui ont vu dans cet événement un simulacre. Parmi eux, l’analyste et chroniqueur Sambou Sissoko, qui livre une tribune au vitriol sur son compte Facebook, transformée en miroir des contradictions d’un pouvoir de plus en plus refermé sur lui-même.
Une mise en scène solitaire
À première vue, le décor était solennel : une salle pleine de dignitaires triés sur le volet, une allocution présidentielle, et au centre, un document présenté comme la quintessence d’un consensus national. Mais selon Sambou Sissoko, il ne s’agissait que d’un « one-man-show présidentiel », où le colonel-président Assimi Goïta aurait préféré l’improvisation moqueuse à la hauteur de l’enjeu historique. Le chef de la junte s’est ainsi lancé dans une série de métaphores populaires – du « toulou » (huile de cuisson) au « brifini » (couverture disputée), détournant le discours de réconciliation en un moment de règlement de comptes à peine voilé avec ses anciens compagnons de transition.
La dérive du langage : entre humour et mépris
Les mots ne sont jamais neutres en politique. Lorsqu’ils remplacent les actes, ils révèlent les failles du pouvoir. En recourant à des références culinaires ou domestiques pour évoquer l’unité nationale, Goïta aurait selon Sissoko banalisé une situation dramatique. Plus encore, il aurait illustré ce que l’auteur qualifie de théâtre de l’absurde : un discours prétendument unificateur qui exclut toute forme de contradiction.
« Quand le pouvoir étouffe toute voix discordante, parler d’unité relève de l’absurde », écrit Sissoko, soulignant le paradoxe d’un processus de paix mené sans les partis politiques dissous, sans les victimes de la guerre, sans les représentants de la société civile. Une charte élaborée à huis clos, imposée d’en haut, présentée comme la volonté du peuple… en son absence.
Un silence imposé, sous la bannière de la réconciliation
Le contraste est frappant entre les intentions affichées et la réalité du terrain. Dans les prisons maliennes, les opposants se comptent par dizaines. Les journalistes indépendants et les activistes sont muselés. Les réseaux sociaux, dernier espace de libre expression, sont étroitement surveillés. Le message est clair : la « paix » célébrée à Bamako est celle de la résignation, non du dialogue.
Cette contradiction alimente une lassitude profonde dans la société malienne. « Pendant que Goïta plaisante sur l’huile de friture, les prisons se remplissent », déplore Sissoko, qui voit dans cette dérive une constante des régimes autoritaires : parler au nom du peuple tout en le tenant à distance.
Une transition figée dans le temps
Initialement prévue pour durer 18 mois, la transition malienne entre désormais dans sa cinquième année, sans perspective d’élections, sans feuille de route claire, sans opposition organisée. L’État malien semble fonctionner en vase clos, entre improvisation et méfiance paranoïaque. L’espace public est déserté, les voix alternatives réduites au silence ou reléguées aux marges numériques. Le pays s’enfonce, pendant que le pouvoir gesticule.
Le « brifini » évoqué par Goïta – cette couverture que chacun tire à soi au risque de la déchirer – prend alors une autre signification. Elle n’est plus l’image d’un peuple divisé, mais celle d’un État fracturé par le pouvoir lui-même, tiraillé entre autoritarisme militaire et simulacres démocratiques.
Vers une paix sans peuple ?
À la lumière de cette séquence, l’interrogation centrale demeure : à qui s’adresse cette charte de paix ? Dans un pays où les conflits persistent au nord, où les tensions communautaires s’exacerbent au centre, où l’extrême pauvreté alimente l’insécurité au sud, les réponses politiques peinent à émerger. La Charte semble davantage répondre à une nécessité de légitimation interne qu’à une ambition de transformation nationale.
Pour Sambou Sissoko, le constat est sans appel : « On ne gouverne plus : on improvise, on gesticule, on squatte. » Une phrase lapidaire, mais qui résonne avec le sentiment d’une grande partie de la population malienne, désabusée par la confiscation du pouvoir et l’absence d’horizon.
Post-scriptum
Alors que la « Charte pour la paix » est désormais en circulation, sa légitimité reste suspendue à une condition essentielle : qu’elle soit le produit d’un vrai débat, inclusif, pluraliste, respectueux des diversités maliennes. À défaut, elle restera une pièce de théâtre de plus dans une transition qui n’en finit pas de s’improviser.