Par Mohamed AG Ahmedou

Depuis janvier 2025, un silence lourd plane sur les plaines du centre et de l’ouest malien. Un silence entrecoupé de cris étouffés, de disparitions sans réponses, de fosses communes anonymes et de regards terrifiés tournés vers des pick-up militaires. Un silence que brise aujourd’hui le rapport accablant de l’ONG Human Rights Watch, publié ce 22 juillet, documentant les exécutions sommaires et disparitions forcées de civils peuls dans plusieurs localités du Mali.
Le rapport, fondé sur 29 témoignages directs et de nombreuses images satellites, dresse un constat glaçant : l’armée malienne, épaulée par des combattants du groupe Wagner — ce corps hybride mêlant sécurité privée et bras armé non assumé du Kremlin — mène une campagne de répression d’une brutalité méthodique contre la communauté peule, soupçonnée d’accointance avec les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).
“Les Peuls sont devenus l’ennemi intérieur par excellence, désignés à la vindicte armée sans procès, sans preuve, sans droit,” déplore une figure de la société civile à Mopti, sollicitant l’anonymat.
Le crime comme méthode
À Sebabougou, le 12 avril dernier, 100 hommes peuls sont arrêtés sous les yeux d’un village entier réuni de force. Le 21 et 22 avril, 43 corps sont découverts en décomposition non loin du camp militaire de Kwala. Aucune autorité n’a expliqué leur présence. À Kourma, Belidanédji, Farana, Sikere ou Kobou, le même schéma : rafles ciblées, yeux bandés, mains liées, exécutions à bout portant. L’accusation est toujours la même : “collusion avec les djihadistes”.
Pourtant, cette confusion entre “Peuls” et “terroristes” n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, les gouvernements maliens successifs alimentent une rhétorique dangereuse amalgamant une communauté ethnique marginalisée à des factions armées islamistes. Ce glissement, initialement verbal, a aujourd’hui des conséquences physiques : des morts par dizaines, des disparus par centaines.
L’opérationnalisation de cette violence par des forces conjointes maliennes et étrangères — ici, le groupe Wagner — confère à cette campagne une dimension quasi-industrielle. Les témoignages parlent de corps retrouvés avec les mains ligotées, les yeux bandés, des exécutions de villageois âgés, de jeunes hommes emmenés dans des véhicules sans retour. D’autres sont passés à tabac avec des barres de fer, leurs restes découverts quelques heures plus tard dans des mares de sang.
“Ils ne font pas la différence. Pour eux, tout Peul est un terroriste potentiel. C’est devenu une fatalité qui autorise l’exécution sans jugement”, déclare un chef de village de la région de Ségou, cité dans le rapport de Human right Watch
L’impunité organisée
Ce rapport n’arrive pas en terrain neutre. Le Mali est aujourd’hui dans une situation d’isolement régional. Retiré de la CEDEAO, délesté de la mission onusienne de maintien de la paix (MINUSMA), et gouverné depuis 2021 par une junte militaire, le pays semble échapper à toute forme de surveillance internationale. La justice est muselée, les médias contraints, et les ONG, de plus en plus réduites à un rôle de documentation lointaine.
La junte malienne, quant à elle, nie toute collaboration avec Wagner, qualifiant les combattants russes d’“instructeurs techniques”. Pourtant, les témoignages et les photos satellites ne laissent guère de doute sur la réalité du terrain.
“Que le pouvoir militaire nie l’évidence ne change rien à la réalité des crimes. L’histoire ne retiendra pas leurs communiqués, mais les fosses communes”, lâche une activiste malienne des droits humains.
La responsabilité, comme le rappelle Human Rights Watch, est collective et verticale : officiers maliens, commandants russes, autorités civiles complices ou silencieuses. Tous pourraient être poursuivis un jour pour crimes de guerre. Mais en attendant, l’impunité règne.
Des civils entre deux feux
Dans un renversement ironique, les Peuls apparaissent comme victimes des deux camps : visés par les groupes djihadistes s’ils ne les soutiennent pas, massacrés par l’armée s’ils sont soupçonnés de le faire. Cette dynamique, tragiquement classique dans les guerres asymétriques, fait des civils les principales cibles.
“Personne ne nous protège. Les djihadistes nous punissent si on coopère avec l’État. L’État nous tue si on reste dans nos villages”, témoigne un habitant de Douentza.
Le village de Kobou en est un exemple funeste. Le 23 janvier, des soldats y exécutent sommairement trois hommes peuls et brûlent une trentaine de maisons. Images satellites à l’appui, les traces de feu sont visibles dès le lendemain. Une tactique de terreur, visant autant à punir qu’à disperser.
La Russie, l’Africa Corps et la relève du silence
Alors que le groupe Wagner annonce son retrait du Mali en juin 2025, remplacé par un mystérieux Africa Corps, entité paramilitaire contrôlée directement par le Kremlin, les inquiétudes s’accentuent. Le changement d’uniforme ne signifie pas un changement de méthode. L’alliance militaro-russo-milicienne en Afrique de l’Ouest semble n’avoir qu’un seul credo : stabiliser par la force, au prix de la terreur.
Et l’Union africaine dans tout cela ? Une instance décriée pour son attentisme. Human Rights Watch exhorte l’organisation continentale à rompre son silence, à soutenir des enquêtes indépendantes, à exiger des poursuites équitables. Pour l’heure, l’inertie domine.
Un devoir de vérité
Ce qui se joue aujourd’hui au Mali dépasse une simple logique sécuritaire. C’est la crédibilité d’un État, d’un continent et d’un droit international humanitaire qui est en cause. Si tuer sans preuve devient la norme, si les communautés entières sont stigmatisées à coup de mitrailleuse, si le silence l’emporte sur le droit, alors il ne restera du Mali qu’un champ de ruines et de soupçons.
Le temps de l’impunité a duré. Celui des comptes doit s’ouvrir.
Et que fait la communauté internationale ?
Le Mali finira par disparaître.
Le Mali n’aura jamais la paix .