Au Mali, l’interdiction de voyager de Moussa Mara relance les inquiétudes sur l’étiolement démocratique

Par Mohamed AG Ahmedou.

Bamako – Madrid, juillet 2025

C’est une décision qui en dit long sur l’état de santé démocratique du Mali sous transition militaire. Le 21 juillet, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a été empêché de quitter le territoire national pour se rendre à Dakar, où il devait ouvrir le 6ᵉ Dialogue régional sur la paix et la sécurité au Sahel et au Sahara, un forum initié par la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung. Aucune décision judiciaire préalable n’a été communiquée. Aucune explication officielle non plus. Le silence des autorités s’ajoute à une longue série d’actes restrictifs visant les voix indépendantes.

Le Club de Madrid, organisation basée en Espagne et regroupant d’anciens chefs d’État et de gouvernement œuvrant pour la démocratie dans le monde, n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué publié ce 22 juillet, l’organisation exprime sa « profonde préoccupation » et appelle les autorités maliennes à « lever immédiatement les restrictions de voyage imposées à M. Mara », dénonçant une mesure « sans base légale claire » et perçue comme « une atteinte grave à la liberté de circulation et d’expression ».

Une voix du changement muselée ?

Homme de dossiers autant que de principes, Moussa Mara n’est pas un inconnu dans le paysage politique ouest-africain. Premier ministre sous Ibrahim Boubacar Keïta (2014-2015), fondateur du parti Yelema – un mot qui signifie changement en bambara –, il est devenu, ces dernières années, une figure critique mais mesurée des régimes militaires issus des coups d’État successifs au Mali.

Depuis le basculement du pays dans une transition à dominante militaire en 2021, M. Mara, expert comptable et technocrate de formation, incarne une ligne modérée, défendant une sortie négociée de la crise et appelant à un retour à l’ordre constitutionnel. Une position de plus en plus intenable dans un contexte où l’espace civique est rétréci et où l’éloge des armes supplante la dialectique politique.

Le paradoxe d’un pouvoir sourd à la paix

Que les autorités empêchent un ancien chef de gouvernement de participer à une conférence internationale sur la paix régionale, voilà qui interroge. La manœuvre ressemble moins à une mesure de sécurité nationale qu’à une volonté de neutralisation politique. D’autant plus que Dakar n’est pas un terrain hostile, mais un haut lieu du dialogue intellectuel et diplomatique sahélien.

Cette interdiction de voyager, qui survient sans notification judiciaire, pourrait bien être un signal adressé à d’autres acteurs politiques maliens : sortir du rang coûte cher. Le Club de Madrid le souligne avec diplomatie, mais fermeté : « Les tentatives de faire taire les voix indépendantes par des mesures coercitives menacent l’espace démocratique et la stabilité régionale. »

D’une transition à une confiscation ?

En janvier 2024 déjà, plusieurs organisations de la société civile malienne avaient dénoncé les restrictions de libertés, les poursuites arbitraires contre des journalistes et les pressions exercées sur les partis politiques. Le cas Mara, en ce sens, s’inscrit dans une dynamique préoccupante où la transition semble perdre sa boussole républicaine au profit d’une logique de consolidation autoritaire.

La présence de Moussa Mara au sein du Club de Madrid, une instance peu suspecte d’activisme subversif, renforce l’ironie de la situation. Le Mali, qui clame haut sa souveraineté face aux « ingérences extérieures », choisit d’empêcher l’un de ses ressortissants d’incarner, hors de ses frontières, une parole responsable sur l’avenir du Sahel.

Un silence révélateur

À l’heure où ces lignes sont écrites, ni le ministère de la Sécurité ni celui des Affaires étrangères n’ont communiqué officiellement. Une absence de transparence qui alimente les spéculations. Les militaires au pouvoir, regroupés sous la bannière de la transition de l’Alliance des États du Sahel (AES), poursuivent leur recentrage autoritaire, malgré un discours d’apaisement à l’international.

Pour nombre d’observateurs, cet épisode traduit un repli de la gouvernance malienne sur elle-même, et une perte de confiance envers ses propres élites civiles, même les plus modérées. Une dynamique lourde de conséquences alors que le pays affronte, sur son territoire, une insécurité persistante, une crise humanitaire rampante et une perte d’influence régionale.

Le sort de Moussa Mara est peut-être scellé temporairement, mais la portée politique de cette interdiction de voyager dépasse son cas personnel. Elle pose une question simple, mais fondamentale : peut-on encore parler au Mali sans se taire ?

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