Mali : Quand les drones ratent leur cible, mais atteignent la vérité

Chronique d’un oiseau abattu et d’une démocratie en fuite

Par notre envoyé très spécial dans le ciel de Tin-Aicha

Au Sahel, les drones ne tuent pas que des ennemis invisibles. Ils visent aussi, avec une précision redoutable, la crédibilité d’un régime qui rêve d’hologrammes militaires dans un désert sans public. Tin-Aicha, petit bourg perdu dans le cercle de Gargando, est ainsi devenu, le 19 juillet dernier, le théâtre d’une tragédie militaire : un drone malien de dernière technologie a raté un stock de charbon et a abattu… un oiseau. Une performance à 30 000 dollars l’unité. Bravo l’armée.

 Un tir chirurgicale dans le vide

Ce jour-là, l’état-major malien, toujours très réactif lorsqu’il s’agit de communiquer, annonce fièrement avoir « neutralisé une base logistique terroriste ». Sauf qu’en lieu et place des djihadistes, ce sont des sacs de charbon, un palmier solitaire et un moineau qui se sont retrouvés pris pour cible. Le volatile, dernier témoin de la scène, n’a pas survécu. Les sacs, eux, n’ont pas porté plainte.

Le coût de l’opération ? Une bagatelle : 30 000 dollars — l’équivalent de 150 salaires d’enseignants dans le Gourma. Mais rassurez-vous : le budget communication, lui, est bien ajusté.

 La guerre cognitive à dos de drone

Il faut dire que dans la « nouvelle grammaire militaire » des régimes de l’AES, la guerre ne se gagne plus sur le terrain, mais dans les têtes. Et de préférence, celles qui vivent confortablement à Paris, Berlin, Montréal ou Atlanta. C’est là que réside le nouveau corps expéditionnaire invisible : des intellectuels, influenceurs et analystes « panafricanistes 5G », tous détenteurs de passeports européens, américains ou canadiens, et devenus, depuis leurs lofts climatisés, les Wagners politiques de Bamako, Niamey et Ouagadougou.

Ils tweetent, postent, analysent, menacent, sanctifient. Ils vivent sous la protection des lois démocratiques de l’Occident, mais soutiennent avec ferveur les États d’exception du Sahel. Eux, ce sont les combattants du clavier, les « soldats de la souveraineté », les patriotes à double nationalité, défenseurs de la censure au sud et de la liberté au nord. À défaut de marcher sur le terrain miné de Kidal, ils trônent sur les plateaux d’une web-TV, dénonçant « l’impérialisme français » entre deux courses à Monoprix.

À Inkounfe, trois ânes et deux blessés

Mais revenons à l’actualité. Quelques jours avant le drame de Tin-Aicha, un autre drone, dans un effort désespéré pour frapper une « cible stratégique », s’est abattu sur un point d’eau à Inkounfe. Bilan : trois ânes morts, deux autres grièvement blessés. Pas de terroriste, mais une vraie tragédie dans le cheptel local. L’État-major parle d’« externalités collatérales ». Les habitants parlent de foutaise.

Et toujours pas de question parlementaire, car le parlement… a disparu. Comme la presse indépendante. Comme les élections. Comme la patience de ceux qui n’ont plus ni eau, ni électricité, ni droit à la parole.

 Théâtre de guerre et carnaval diplomatique

Mais qu’importe, la mise en scène continue : drones, défilés militaires, communiqués martiaux, drapeaux russes sur fond de tambours patriotiques. Pendant ce temps, à Bamako, Ouaga et Niamey, les présidents en treillis se prennent pour des De Gaulle sous stéroïdes. Et leurs soutiens de la diaspora, qui n’ont jamais vu un champ de bataille autrement que dans un documentaire Netflix, expliquent doctement que « la souveraineté ne se négocie pas ».

La contradiction ? Elle est assumée avec fierté. On est pour la démocratie… chez les autres. Pour les droits humains… à condition qu’ils ne contredisent pas le général. Et pour la liberté de la presse… sauf RFI, France 24, Jeune Afrique et tout ce qui ressemble à un micro non affilié au pouvoir.

Un drone, un oiseau, et mille vérités qui s’écrasent

L’opération de Tin-Aicha restera comme une parabole de cette nouvelle époque : un oiseau tombé, un régime qui s’envole vers ses illusions, et une vérité qui plane, silencieuse, au-dessus d’un pays qu’on dit souverain mais que ses dirigeants traitent comme une scène de théâtre.

Tant que les drones viseront les mauvaises cibles, tant que la diaspora militante confondra carte d’électeur et carte d’identité, et tant que l’armée confondra sécurité et propagande, le Sahel ne connaîtra ni paix ni vérité.

Mais bon, le moineau est mort en héros. Qu’on lui érige une statue : il aura vu ce que beaucoup refusent encore de croire.

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