Tin-Aicha, Cercle de Gargando – ce 19 juillet— Par Mohamed AG Ahmedou.

Alors que le spectre de la conflictualité et de l’incertitude politique ne cesse de hanter le Mali, la dernière opération de frappe par drone, prétendument visant une « base logistique des terroristes » à Tin-Aicha, n’a fait que renforcer le sentiment d’une manipulation narrative. L’armée malienne, dans un communiqué officiel, annonçait la neutralisation d’une installation terroriste. Or, la réalité sur le terrain —et dans les esprits critiques— paraît bien différente.
Un coût exorbitant pour une cible erronée
Le tir du drone, évalué à près de 30 000 dollars américains, a visé un stock de sacs de charbons dans une localité périphérique. L’issue de cette frappe, loin de correspondre aux objectifs annoncés, s’est soldée par un échec cuisant puisque le projectile a manqué sa cible principale pour ne tuer qu’un petit oiseau. Ce contraste entre le montant engagé et la presque dérision du résultat soulève des questions sur la qualité du renseignement et la véracité des informations diffusées par l’état-major général. De telles erreurs, loin d’être anodines, traduisent une gestion chaotique des moyens militaires et un décalage flagrant entre les annonces officielles et la réalité sur le terrain.

Une continuité dans l’échec opérationnel
Ce coup d’éclat est loin d’être un cas isolé. Quelques jours auparavant, un tir de drone, prétendument orienté contre une cible stratégique, avait visé un point d’eau à Inkounfe, dans la commune de Kidal. L’opération, qui a causé la mort de trois ânes et blessé deux autres, témoigne d’un schéma récurrent : l’utilisation des drones, déjà coûteuse et techniquement discutable, semble davantage relever d’un simulacre de pouvoir que d’une réelle stratégie militaire. Chaque erreur de ciblage nourrit la méfiance, tant au sein de la population qu’auprès de la communauté internationale, et alimente les commentaires acerbes dénonçant une armée « mal informée » et plus préoccupée par la diffusion d’un simulacre d’efficacité que par la sécurisation réelle du territoire.
La dimension propagandiste d’une opération d’État
Au-delà des erreurs techniques, ces opérations par drone s’inscrivent dans une logique de propagande délibérée. Les autorités militaires maliennes, confrontées à des défis opérationnels et politiques majeurs, semblent utiliser ces interventions non pas pour renforcer la lutte contre les insurgés, mais pour détourner l’attention des échecs démocratiques et des dérives du pouvoir. Le discours officiel, évoquant la neutralisation de bases terroristes, se heurte à la réalité des opérations, qui laissent derrière elles une traînée de coûts inutiles et d’actions aux conséquences dérisoires, voire mêmes ridicules.
Cette manipulation narrative tend à occulter d’autres faits moins reluisants : l’histoire d’un groupe de militaires formés par des forces étrangères — de la MINUSMA aux opérations françaises et européennes — et qui, une fois investis du pouvoir, se seraient laissés séduire par des alliances avec des mercenaires russes et turcs. Dans ce scénario, les drones ne sont plus de simples outils de combat, mais des instruments de diversion, d’exhibition d’un pouvoir qui se maintient coûte que coûte, quitte à sacrifier la vérité sur l’autel de l’intérêt personnel et du maintien d’un régime contesté.
Un décor politique en crise
L’enchevêtrement des alliances politiques et militaires, la présence d’intellectuels expatriés dont le soutien aux régimes militaires se fait de plus en plus affirmé, révèle les méandres d’une crise institutionnelle profonde. L’usage instrumental du langage militaire et des opérations de drone participe d’un jeu de dupes destiné à masquer une impasse sécuritaire et démocratique. Le recours à ces instruments de guerre technologique pour propulser une rhétorique de victoire inéluctable ne peut faire disparaître la réalité d’un pays plongé dans une instabilité qui ne cesse de se complexifier.
L’opération de Tin-Aicha, aussi dérisoire soit-elle par son issue, met en lumière la dérive d’un appareil militaire qui semble avoir perdu de vue sa mission première. Entre erreurs de ciblage, gaspillage des deniers de l’État et propagande calculée, le Mali se trouve à la croisée de chemins. Il importe désormais de questionner ouvertement l’orientation stratégique et politique d’un pouvoir qui, en jouant avec les technologies de guerre, ne fait qu’approfondir le fossé entre le discours officiel et la réalité vécue par sa population. Un examen critique s’impose pour redonner au débat public la place d’une réflexion lucide et sincère sur les enjeux de cette « nouvelle guerre de représentation » qui divise autant qu’elle déstabilise.
