Par Mohamed AG Ahmedou.

C’est un retournement aussi spectaculaire qu’intrigant : l’ancien Premier ministre malien, Choguel Kokala Maïga, passé maître dans l’art oratoire de la radicalisation politique sous la transition militaire, se dresse désormais contre la junte qu’il a longtemps soutenue – et dont il a été, trois années durant, l’un des plus fervents propagandistes. Dans une déclaration médiatique rendue publique le 17 juillet 2025, il dénonce ce qu’il appelle une « Dictature à Durée Illimitée » (DDI), sous prétexte de pacification du territoire. Il interpelle : « Et si les terroristes décident qu’il n’y aura jamais de pacification, cela signifie-t-il que, sans le vouloir, le pouvoir militaire devient un allié objectif des terroristes ? »
Une question rhétorique au goût amer, qui en dit long sur les contradictions internes d’un homme désormais en rupture avec ses anciens compagnons d’armes.
Un revirement aussi brutal que suspect
Celui qui accuse aujourd’hui la junte de confiscation du pouvoir, d’opacité et de manipulation des masses, fut pourtant – il y a encore quelques mois – le visage civil de la transition, défenseur zélé d’un narratif de souveraineté instrumentalisé. C’est Choguel Maïga lui-même qui, dès 2021, théorisait la « libération mentale du peuple malien », accusait la France d’un plan de « recolonisation par l’Azawad », et accusait l’Algérie de visées néo-impérialistes sur le nord du pays.
Durant ses trois ans et demi à la Primature, jusqu’à son éviction en novembre 2024, il aura méthodiquement contribué à envenimer les relations avec la CEDEAO, à braquer la diplomatie malienne, et à radicaliser les discours contre tous les partenaires historiques du Mali.
Aujourd’hui, face à une junte qui refuse toute échéance électorale claire, Choguel Maïga dénonce les méthodes qu’il a contribué à banaliser. L’arroseur arrosé ? L’image revient fréquemment dans les réactions à sa sortie. Certains y voient une tentative désespérée de se repositionner dans un jeu politique qu’il pensait maîtriser.
La paix conditionnée par la guerre : impasse politique
La thèse défendue par Choguel Maïga soulève néanmoins une interrogation pertinente : un pouvoir militaire peut-il conditionner son départ à un objectif – la pacification du territoire – dont la réalisation dépend d’acteurs qu’il ne contrôle pas ? Si la paix devient un horizon indépassable, alors le maintien indéfini de l’autorité militaire devient, de facto, justifié. C’est l’impasse dénoncée par l’ancien Premier ministre, non sans lucidité tardive : « Faire de la paix une condition de la démocratie revient à faire du chaos un alibi de la dictature. »
Dans le même temps, des groupes armés opportunistes s’engouffrent dans la brèche, appelant à un « gouvernement d’union nationale avec tous les opposants à la junte ». Un scénario de fragmentation politique qui rappelle, à bien des égards, les prémices de la déliquescence syrienne.
L’intellectuel malien face à la tentation du discours facile
Le texte, publié par Ben Dia Officiel sur sa page Facebook, souligne un autre malaise : celui d’une élite politique et intellectuelle incapable de rompre avec les discours faciles, préférant l’agitation anti-française ou les théories complotistes à une autocritique profonde. L’ironie mordante de la publication est sans appel :
❗La vie chère 👉 c’est la France
❗Des milliards volés 👉 c’est la France
❗Pas d’électricité 👉 c’est la France
❗Vol des tonnes d’or 👉 c’est encore la France
Ce déplacement permanent de responsabilité, devenu un sport politique régional, permet aux dirigeants – civils ou militaires – de s’exonérer de tout bilan sérieux. Il infantilise les peuples, détourne l’attention des véritables défis structurels du pays, et empêche toute reconstruction politique crédible.
Lundi décisif pour Choguel Maïga
Ironie du sort, l’ancien Premier ministre devra répondre, le 21 juillet, devant le procureur général, à propos de ses propos jugés « subversifs » par ses anciens alliés militaires. Une convocation qui cristallise le paradoxe malien : un pouvoir militaire allergique à la contradiction, même quand elle vient de ses propres architectes.
Le cas de Choguel Maïga illustre à la fois la versatilité cynique de la classe politique malienne, et la dérive autoritaire d’un régime militaire enfermé dans ses propres contradictions. À trop jouer avec le feu du populisme anti-occidental et du messianisme militaire, le Mali s’enfonce dans une zone grise, où ni l’État ni la démocratie ne trouvent leur place. L’heure n’est plus aux discours martiaux ou aux slogans creux, mais à un sursaut collectif, porté par des citoyens lucides, capables de discerner les responsabilités internes et d’exiger des comptes – de tous.