Mali : les passeports confisqués du débat public. Mara empêché de voyager vers Dakar par la junte militaire.

Par Mohamed AG Ahmedou.

Bamako – Le 21 juillet 2025, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a été empêché d’embarquer à bord d’un vol à destination de Dakar. Invité à ouvrir les travaux d’une conférence internationale sur la paix et la sécurité au Sahel organisée à Saly (Sénégal), il a été contraint, avec sa famille, de rebrousser chemin sous l’œil froid de deux policiers maliens à l’aéroport international Modibo Keïta. Raison invoquée : l’absence d’« autorisation de sortie du territoire ». Motif non écrit, non notifié, non justifié. Mais bien réel.

Ce n’est pas une première. Le pouvoir militaire malien, aux commandes depuis le coup d’État d’août 2020, semble avoir perfectionné l’art d’un autoritarisme diffus mais implacable : empêcher physiquement les voix critiques de franchir les frontières nationales. Issa Kaou Djim, Ahmadou N’dounga Maïga, deux figures politiques proches de l’imam exilé Mahmoud Dicko, avaient déjà subi la même mesure, sans procès, sans loi, sans appel. À l’aéroport comme à la télévision nationale, la parole autorisée est désormais sous contrôle total.

Car derrière l’excuse sécuritaire et la rhétorique souverainiste de rigueur, se dessine une logique de réclusion politique. L’interdiction de quitter le territoire devient un outil de neutralisation. Un leader qui prend l’avion pour s’adresser à un forum international est perçu, non comme un citoyen engagé, mais comme un danger pour la junte. Comme si sortir du Mali, c’était sortir du rang.

Un pouvoir sans confiance

Le cas de Moussa Mara illustre une double crise : celle de la légitimité politique du pouvoir militaire, et celle de l’État de droit au Mali. Car ce n’est pas seulement la liberté de circulation d’un homme qui est bafouée, mais tout un principe : celui qui permet à une société de respirer à travers le débat, la mobilité, l’expression critique. « Une mesure arbitraire, sans base légale apparente », dénoncent ses avocats, rappelant les textes malien, africain et onusien violés par cette décision.

Le malaise est d’autant plus profond que le discours officiel reste silencieux. Pas un mot du gouvernement de transition. Pas de décret. Pas même un faux prétexte. Seule la force brute de l’acte administratif, opaque, non signé, mais exécuté avec la rigueur d’un État qui confond discipline militaire et autorité républicaine.

Une logique de bunkerisation

Depuis 3 ans, la junte malienne s’est engagée dans une politique d’enfermement du débat public. À l’intérieur : les médias sont sous pression, les ONG sous contrôle, les opposants marginalisés. À l’extérieur : les leaders politiques ou religieux qui tentent de porter une autre voix hors des frontières sont rappelés à l’ordre. L’exil devient une menace, et le voyage une subversion.

La participation de Moussa Mara à une conférence internationale sur la paix au Sahel n’avait rien d’un complot. Mais dans le climat actuel, où la moindre parole critique est assimilée à une tentative de déstabilisation, c’est l’existence même d’une parole libre qui pose problème. Le Mali officiel ne tolère plus que les discours d’allégeance.

«  »Moussa Mara n’a pas fui. Il dérange.

Quand un ancien Premier ministre est interdit de voyage, ce n’est pas pour sa destination : c’est pour sa voix » », réagi le politologue économiste universitaire malien, Étienne Fakaba Sissoko sur sa page Facebook à propos de ce qui arrive à Moussa Mara.

Étienne a souligné également que, la junte a peur. Peur de la parole libre. Peur de ceux qui refusent de se taire. Avant de conclure son  les dernières phrases de son post en manifestant son soutien à Mara en lui disant «  »Mara restes debout. Les vrais fuyards, ce sont ceux qui fuient les élections, la vérité et le peuple » ».

La junte, l’AES et la peur du pluralisme

Ironie mordante : la conférence à laquelle Moussa Mara devait participer portait sur la paix et la sécurité au Sahel, deux objectifs que le pouvoir malien prétend poursuivre à travers son engagement dans l’Alliance des États du Sahel (AES), aux côtés du Burkina Faso et du Niger. Mais peut-on vraiment parler de sécurité quand le débat est muselé ? Peut-on parler de paix quand les frontières se referment sur les idées ?

La junte malienne, qui affirme agir au nom de la souveraineté nationale, trahit en réalité les fondements mêmes de cette souveraineté, qui repose sur le droit, la liberté et le pluralisme. Un régime fort n’est pas celui qui enferme ses citoyens, mais celui qui supporte leur parole, même quand elle dérange.

Moussa Mara, comme d’autres avant lui, vient d’expérimenter ce que signifie aujourd’hui « être libre » au Mali : un privilège conditionné à l’adhésion au pouvoir militaire, une concession octroyée, non un droit garanti. C’est ce glissement lent mais méthodique vers l’autoritarisme que documente, chaque jour un peu plus, la réalité malienne.

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