Mali – Algérie : entre dérive populiste, révisionnisme politique et fractures sahéliennes

Par la Rédaction de Méhari Post, la branche médiatique de Méhari Consulting.

L’échange numérique entre deux internautes maliens, Souleymane Sow et Mohamed AG Ahmedou, sur la position de l’Algérie vis-à-vis de la crise malienne révèle une fracture profonde dans l’opinion sahélienne. Au-delà de la véhémence des mots, les propos cristallisent les tensions ethno-politiques, les ambiguïtés diplomatiques et les dérives militaro-populistes qui secouent aujourd’hui l’Alliance des États du Sahel.

« Vous n’acceptez pas de mercenaires à vos frontières, mais vous acceptez des terroristes sur votre territoire. »,  Cette accusation frontale adressée par Souleymane Sow au président algérien Abdelmadjid Tebboune illustre une nouvelle dynamique dans les discours politiques populaires maliens, celle d’une rhétorique accusatoire, réactive, où la responsabilité nationale est systématiquement externalisée. Dans son commentaire, Mohamed AG Ahmedou oppose un contre-discours structuré, rappelant les efforts historiques de l’Algérie dans la médiation malienne, tout en dressant un bilan sans concession de la gouvernance militaire actuelle à Bamako.

Ces propos ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans une polarisation grandissante autour des choix politiques et militaires opérés par les juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger,  un triangle autoproclamé « Alliance des États du Sahel (AES) »,   dont la légitimité est aujourd’hui de plus en plus contestée par une frange d’intellectuels et d’acteurs de la société civile.

Une diplomatie algérienne enracinée mais aujourd’hui bousculée

L’Algérie a longtemps joué le rôle d’intermédiaire prudent mais actif dans les crises maliennes, en particulier depuis la signature des Accords d’Alger en 2015. Pourtant, ces accords sont désormais considérés caducs par les autorités de transition maliennes, qui les ont formellement dénoncés début 2024. Pour une partie de la société malienne, notamment dans les cercles panafricanistes proches du pouvoir, Alger est perçue comme un acteur ambigu, soupçonné de complaisance envers les groupes touaregs ou islamistes.

Or, ce révisionnisme oublie l’ancrage historique de la diplomatie algérienne : soutien à l’unité malienne dès les premières rébellions touarègues des années 1960 comme l’a mentionné le président algérien dans un entretien face à la presse algérienne, puis annulation de la dette malienne, accueil de négociations sur son territoire… Une posture que rappelle Mohamed AG Ahmedou, en mettant en avant la constance algérienne face aux dérives successives à Bamako.

La junte malienne : entre populisme militaire et violences d’État

Les propos de Mohamed AG Ahmedou, eux, sont lourds de sens : il accuse la junte malienne de devenir elle-même une organisation terroriste d’État, responsable de crimes contre les populations civiles dans le nord, le centre, et même certaines zones du sud. Ce discours est rare dans l’espace public malien, tant la répression et la polarisation empêchent une critique libre des forces armées et de leurs alliés russes du groupe Wagner\Africa Corps.

Des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International ont documenté des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des violences communautaires perpétrées par l’armée malienne et ses supplétifs mercenaires russes. Le silence officiel à Bamako contraste avec la réalité sanglante vécue dans des localités comme Moura, Kidal, Zouera, Amasrakade, Inadjatafane, Adjjer, Ogossagou, Niono ou Koulikoro. Ceux qui dénoncent ces exactions sont systématiquement accusés de trahison, ou pire, d’être des agents de l’étranger.

AES : un projet géopolitique fondé sur le ressentiment ?

L’Alliance des États du Sahel, formation née sur fond de rupture avec la France et la CEDEAO, s’affiche comme un projet de souveraineté régionale. Mais pour ses détracteurs, dont Mohamed AG Ahmedou, il ne s’agirait que d’un syndicat de putschistes, mus par un réflexe de survie politique plus que par une vision stratégique.

Ce qu’il qualifie de « clivage peau blanche/peau noire », vise à dénoncer la manipulation des ressentiments ethniques dans un Sahel historiquement traversé par des hiérarchies complexes entre groupes sédentaires et nomades, noirs et arabes, cultivateurs et pasteurs. En alimentant ces tensions, les régimes militaires, selon lui, construisent une unité fictive contre un ennemi intérieur : les Touaregs, les Arabes, les peuls, dogons, Soninkés et songhoys ou toute voix dissidente.

Le risque de fragmentation étatique

L’analyse est glaçante : selon Mohamed AG Ahmedou, la persistance des crimes ciblés contre certaines populations pourrait mener à une dislocation pure et simple du Mali et du Burkina Faso. Un scénario longtemps écarté par les institutions ouest-africaines, mais aujourd’hui envisagé par certains analystes.

La fracture n’est pas seulement territoriale ou politique, elle est avant tout morale et mémorielle. Tant que les crimes commis au nom de la « lutte antiterroriste » ne sont ni reconnus ni réparés, toute unité nationale reste illusoire.

Vers un sursaut citoyen ?

Dans son commentaire, Mohamed AG Ahmedou évoque un espoir, celui d’un réveil citoyen face à l’aveuglement général. Mais ce sursaut dépendra de la capacité des sociétés malienne, burkinabè et nigérienne à regarder leur propre histoire en face,  sans céder aux sirènes du nationalisme victimaire ni à l’illusion d’un ordre militaire rédempteur. Le peuple mosaïque nigerien malgré l’erreur laxiste du kidnapping de son président Mohamed Bazoum et son épouse par le général Tiani depuis deux ans a quand même pu stoppé l’hémorragie des attaques d’amalgames contre les populations civiles comme ce fût le cas des agissements de l’armée nigerienne sur les populations civiles de la localité de Bankilaré, située dans la région de Tillaberry, il y a quelques mois. Les populations nigeriennes ainsi que des leaders communautaires, des acteurs de médias et des influenceurs tous azimuts, ont dénoncé ces agissements de vagues de tueries et d’arrestations extrajudiciaires qui avaient ciblé les populations civiles de Bankilaré par les FAN du Niger et celà a fait ressaisir la junte militaire nigerienne de Tiani. Ce que malheureusement ne peuvent pas faire pour le moment, les populations maliennes et burkinabès proches des pouvoirs militaires qui ne sont pas victimes des agissements d’actes criminels d’amalgames opérés par les militaires maliens, burkinabès et les mercenaires russes sur les populations civiles dans les régions du nord et du centre, du sud, de l’ouest du Mali et les régions du Sahel, du centre et de l’Est du Burkina Faso.

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