Au Mali, l’ombre d’une trahison communautaire : l’assassinat d’Ismaghil Ag Arahmat à Gao

Analyse. Derrière la façade d’un acte terroriste, un règlement de comptes politique au cœur du MSA secoue les équilibres communautaires touaregs.

Le 1er juillet 2024, à Gao, l’assassinat d’Ismaghil Ag Arahmat, officier respecté et figure montante de la communauté Dawsahak, a d’abord été interprété comme un nouvel épisode de l’instabilité chronique au nord du Mali. Deux hommes ouvrent le feu devant la direction régionale des douanes ; aucune revendication n’est formulée. Ni le JNIM, ni l’État islamiqu au Grand Sahara (EIGS), ni les habituels groupes armés ne s’en attribuent la responsabilité. L’événement, d’apparence anodine dans un pays ravagé par les conflits asymétriques, cache pourtant une toute autre réalité.

Une mise en scène dissimulant un crime politique

Selon un témoignage circonstancié livré par Youssouf Ag Bilal  à travers une texte qu’il a lui-même rédigé, éminente voix dissidente de la sphère Touaregue, cet assassinat n’a rien d’un acte terroriste. Il s’agirait, en réalité, d’une opération commanditée en interne, à des fins personnelles, par nul autre que Moussa Ag Acharatoumane, chef du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA-D) et membre influent de l’organe législatif de la junte militaire malienne et leader de la communauté touaregue des des Idoussahak de la région de Menaka, longtemps perçu comme un acteur crédible du processus de stabilisation au nord du Mali.

Les éléments avancés sont accablants, l’officier du MSA-D, Ismaghil AG Arahamat aurait joué un rôle clé dans la neutralisation d’Abou Houzeifa, alias “Hugo”, cadre influent de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), lors d’une opération conjointe entre les FAMa, Wagner et des unités du MSA-D et qui avait réussi à neutraliser Hugo le 20 Avril 2024 dans la région de Menaka. Une récompense de cinq millions de dollars, promise par le programme américain « Rewards for Justice » aurait été déclenchée à l’issue de cette opération. Mais l’homme à la manœuvre, Ismaghil, n’en aurait jamais perçu la moindre part.

Une logique de prédation interne au MSA

Selon des sources croisées de la communauté Dawsahak, cette manne financière aurait été captée par Moussa Ag Acharatoumane, qui aurait dissimulé l’existence même de la récompense à ses alliés opérationnels. Informé par des relais militaires, Ismaghil aurait exigé des explications, entamant une série d’échanges WhatsApp dont l’existence serait attestée par des enregistrements audio bientôt rendus publics. Ces demandes répétées seraient restées lettres mortes, avant de déboucher sur une issue dramatique : l’exécution ciblée de celui qui, au sein même de Talataye, passait pour une incarnation de loyauté et de professionnalisme militaire.

« Les présumés auteurs du crime, Lala Ag Mohama et Oumar Ag Houmeydi,  tous deux affiliés au MSA et liés personnellement à Moussa, auraient été transportés de Ménaka à Gao par avion militaire la veille de l’assassinat, selon plusieurs témoignages », a écrit AG Bilal. « Une somme de sept millions de francs CFA aurait été convenue, partiellement versée en amont de l’opération », rapporte AG Bilal dans son éditorial. « À ce jour, les deux hommes jouiraient d’une impunité totale, protégés à Ménaka », s’offusque, Youssouf AG Bilal dans sa Tribune.

Crise de légitimité et fractures communautaires

Au-delà de l’indignation suscitée par le meurtre, c’est une fracture politique et morale qui s’ouvre au sein du MSA. À Talataye, bastion traditionnel du mouvement, les défections se multiplient. Nombre de combattants, bouleversés par la tournure des événements, auraient rejoint le Front de Libération de l’Azawad (FLA), dénonçant une « trahison de l’intérieur ». L’accusation est grave, détourner une récompense issue d’une opération à haut risque pour ensuite éliminer celui qui la rendit possible reviendrait à instrumentaliser la lutte armée à des fins de prédation, nous laisse croire en lisant le texte de Youssouf AG Bilal..

Youssouf Ag Bilal dresse ainsi un triple réquisitoire moral contre Moussa Ag Acharatoumane : abus de confiance, manipulation de la cause Dawsahak, et usage personnel de l’appareil militaire du MSA. L’un des extraits les plus percutants de son témoignage résume l’état d’esprit actuel : « Celui qui tue les siens pour garder l’argent est incapable de défendre une cause. »

Vers une recomposition des alliances ?

L’affaire Ismaghil pourrait bien marquer un tournant stratégique dans l’équilibre fragile entre les groupes armés du nord du Mali. Alors que les dissensions internes s’accentuent, la question de la légitimité des leaderships touaregs revient avec acuité. La montée en puissance de nouvelles figures comme Youssouf Ag Bilal, prônant une refondation morale de la lutte, pourrait ouvrir la voie à une recomposition du paysage politico-militaire dans l’Azawad.

Dans une région où l’honneur et la parole pèsent souvent davantage que les communiqués diplomatiques, la révélation publique des noms, des visages, et des motifs d’un assassinat présenté comme un simple fait divers sécuritaire pourrait bien, à terme, bouleverser les équilibres en place. Car dans les mots de Bilal, résonne une menace sourde à peine voilée : « Que nul ne dise qu’il ne savait pas. Le sang d’Ismaghil crie encore. »

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