Mali : à Goundam et Zouéra, la guerre des drones frappe des civils – et la vérité

Par Mohamed AG Ahmedou 

Le lundi 30 juin 2025, dans la ville de Goundam, région de Tombouctou, plusieurs civils peuls et tamacheq noirs ont été arrêtés, exécutés, et contraints de creuser leur propre tombe à Inkorkor, à l’est de la ville. Ils seraient au nombre de treize. Quelques heures plus tard, à Zouéra, commune d’Essakane, une frappe de drone ciblait une foire hebdomadaire, tuant au moins quatre personnes, dont trois fillettes, et blessant gravement plusieurs autres. À la télévision nationale malienne, on parle d’une « victoire contre le terrorisme ».

Une version officielle qui ne résiste pas aux faits

Sur les réseaux sociaux affiliés à la junte militaire de Bamako, notamment la page Kati24, un récit triomphaliste a vite émergé. L’armée aurait « neutralisé un chef terroriste majeur », présenté comme un certain colonel Amazor Nachedh alias Abou Bahou Al Katiwi, prétendument cité dans un documentaire diffusé par la chaîne franco-allemande ARTE.

Le problème ? Ce chef terroriste n’existe pas. Le nom lui-même est une farce linguistique imaginée par deux internautes touaregs, Walid Le Berbère et Iknane Ag Hamad, en langue tamasheq : « Amazor Nachedh » signifiant littéralement « excréments d’âne », et « Abou Bahou » se traduisant par « le père du mensonge ».

La satire a été prise au premier degré par plusieurs plateformes numériques proches du régime, qui ont relayé l’information sans la vérifier. « Quand on vous dit que le Malikoura ne joue pas, vous ne croyez pas », pouvait-on lire. La propagande s’est emballée, aveuglée par sa propre soif de légitimation militaire.

Victimes civiles ignorées

Pendant ce temps, les familles pleurent. À Zouéra, la frappe a détruit le hangar de Rahmatou, une restauratrice locale. Elle-même grièvement blessée aux jambes, a vu périr ses trois filles : Fadmata (14 ans), Oumalhassane (5 ans) et Fadimoutou (13 mois). Jiddou Ag Aloud, un client, est également mort sur le coup. Cinq autres personnes, dont un enfant, ont été blessées. L’une n’a même pas pu être transportée vers Tombouctou faute de moyens.

« Pourquoi frapper une foire en plein jour, alors que tout le monde sait qu’elle se tient chaque Mardi à Zouera ? Il n’y avait là que des commerçants, des familles, des enfants », s’indigne un cadre de la société civile locale. Selon plusieurs témoins, les drones maliens n’ont visé qu’un véhicule contenant des fûts vides appartenant à un commerçant connu, et non un convoi terroriste comme l’a prétendu l’armée sur l’ORTM, la chaîne nationale.

Une stratégie de la terreur et du mensonge

À Goundam, les témoignages convergent également. Treize hommes, tous d’ethnies peule et tamacheq, auraient été sommairement exécutés par des soldats maliens et leurs alliés russes. L’exécution, atroce, aurait été précédée de l’ordre de creuser leurs propres tombes près des dunes d’Inkorkor.

« Ce n’est pas nouveau », explique un expert local. « Cela fait longtemps que l’armée malienne utilise la force de manière disproportionnée contre les nomades. Ce qui change, c’est l’ampleur de la propagande qui accompagne ces crimes. »

Le silence assourdissant des institutions

Ni les partenaires internationaux,  ni l’union africaine, ni même organisations de défense des droits humains n’ont commenté ces incidents. À Bamako, l’État-major parle de « guerre informationnelle » et continue de peindre ses opérations militaires comme des succès, parfois en se fondant sur des plaisanteries transformées en faits.

Mossa Ag Inzoma, cadre du Front de Libération de l’Azawad (FLA), ironise sur Facebook : « Le colonel Eched tué par drone malien veut dire âne, et son alias Abou Bahou veut dire père du mensonge… Walid les a bien eus. Tikounen (bravo) ! »

Mais pour les familles endeuillées, il n’y a rien de drôle. Et le plus tragique est peut-être que, dans ce conflit où les lignes entre le mensonge, la guerre et le cynisme s’effacent, ce sont encore et toujours les civils innocents qui paient le prix du silence.

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