Le chef de la junte malienne multiplie les déclarations alarmistes et les invectives diplomatiques, alors que sa gouvernance soulève de profondes inquiétudes au sein même du pays.
Par Mohamed AG Ahmedou

Depuis son arrivée au pouvoir par la force en août 2020, le colonel Assimi Goïta n’a cessé de brouiller les lignes entre la souveraineté militaire et la légitimité démocratique. Ses dernières déclarations en date évoquant des « armes secrètes » dont la révélation ferait du Mali une « menace » pour ses voisins ont ravivé les inquiétudes sur la trajectoire prise par le pays sahélien, désormais membre fondateur de l’Alliance des États du Sahel (AES), aux côtés du Burkina Faso et du Niger.
Ces propos, tenus dans un contexte de crispation régionale, relèvent moins de la stratégie de défense que d’une communication politique aux relents populistes. En cultivant le flou, voire le fantasme, autour de prétendues capacités militaires confidentielles, le colonel-président s’efforce surtout de détourner l’attention d’une réalité intérieure de plus en plus contestée.
Une posture guerrière qui masque une gouvernance opaque
En janvier 2025, Assimi Goïta dénonçait des survols de drones en provenance de « pays ennemis de l’AES », évoquant une surveillance étrangère constante. Mais quelques mois plus tard, c’est un drone malien qui violait l’espace aérien algérien, sans que les radars maliens ne semblent l’avoir détecté ou que le chef de la junte ne s’en émeuve. Ce double discours, symptôme d’une communication à géométrie variable, alimente le doute sur la sincérité des alertes sécuritaires brandies par Bamako.
Derrière cette rhétorique belliqueuse se dissimule une gouvernance de plus en plus solitaire et autoritaire. L’homme fort du Mali, qui s’est octroyé un nouveau mandat sans passer par les urnes, a selon plusieurs sources budgétisé plus d’un milliard de francs CFA pour sa cérémonie d’investiture. Un événement aussi coûteux qu’ostentatoire, perçu par nombre d’observateurs comme une tentative de légitimation par le décorum alors même que le pays traverse une crise économique sévère, que l’inflation galopante fragilise les ménages, et que la transparence sur les ressources publiques reste un vœu pieux.
Une diplomatie de la provocation aux conséquences lourdes
Au-delà de ses frontières, les effets de la diplomatie abrasive du colonel Goïta se font déjà sentir. Les accusations répétées contre certains États voisins et leurs dirigeants, l’alignement stratégique sur la Russie, ainsi que les discours imprégnés de défiance vis-à-vis de la CEDEAO et de l’Union africaine, détériorent l’image du Mali sur la scène régionale et internationale.
Les premières victimes de cette posture sont souvent les Maliens eux-mêmes notamment ceux installés à l’étranger, qui subissent les contrecoups des tensions diplomatiques. Loin de renforcer la souveraineté nationale, la stratégie d’isolement choisie par la junte expose le pays à une marginalisation progressive.
Un récit construit sur l’illusion
Ce que le régime présente comme un sursaut de dignité et d’indépendance s’apparente de plus en plus à une dérive autoritaire, dissimulée sous les oripeaux du patriotisme. Le culte de l’ennemi extérieur, l’usage politique des « menaces invisibles » et la confiscation du pouvoir révèlent une ambition : s’ancrer durablement aux commandes de l’État sans rendre de comptes, ni au peuple malien, ni à ses institutions.
Assimi Goïta, qui fut un jour célébré comme un homme providentiel par une partie de la population, semble désormais enfermé dans un récit guerrier qui le pousse à gouverner par la peur, plutôt que par la confiance. L’histoire retiendra peut-être que l’obsession de l’ennemi lointain a permis d’ignorer les urgences proches : l’éducation, la santé, la paix intérieure.