
Le 26 juillet 2023, un coup de force militaire mettait brutalement fin au mandat du président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Deux ans plus tard, le Niger semble avoir basculé dans une spirale de régressions sécuritaire, économique, sociale et politique, sans perspective claire de sortie de crise. À l’origine de ce renversement, selon plusieurs observateurs, une trahison orchestrée par une poignée d’hommes déterminés à faire primer leurs intérêts personnels sur ceux de la nation.
Un coup d’État sans justification rationnelle
Juillet 2023. Le Niger vit alors l’un des moments les plus prometteurs de son histoire récente. À mi-mandat, le président Mohamed Bazoum incarne une gouvernance jugée intègre et stable. Sur le plan politique, le climat est apaisé ; l’opposition est silencieuse, aucune crise majeure n’ébranle les institutions. L’économie enregistre une croissance soutenue, soutenue par des investissements massifs et une gestion budgétaire saluée pour sa rigueur. Sur le front sécuritaire, les résultats sont tangibles : recul des groupes terroristes, réinstallation des populations déplacées, moral des troupes élevé.
Rien, en apparence, ne justifiait un coup d’État. Contrairement aux cas du Mali ou du Burkina Faso, où les régimes renversés étaient fragilisés par l’insécurité et la contestation populaire, le renversement de Bazoum ne répond à aucune dynamique de crise apparente. Ce paradoxe alimente une lecture plus sombre : celle d’un acte de trahison motivé par des intérêts personnels, déguisé en acte de souveraineté.
Une situation sécuritaire en nette dégradation
Deux ans plus tard, le bilan sécuritaire est alarmant. Alors que le territoire national était presque totalement sous contrôle étatique en 2023, plusieurs régions échappent aujourd’hui à toute autorité. Des groupes armés étendent leur emprise à des zones jusque-là épargnées, comme Agadez ou Dosso. Les pertes humaines s’élèvent à plusieurs milliers, civils comme militaires. L’armée, autrefois structurée, est décrite comme démoralisée, sous-équipée, et mal dirigée.
La stratégie combinée de lutte militaire et de dialogue social, menée sous Bazoum, a cédé la place à une gestion opaque et désorganisée, où les priorités semblent plus politiques que sécuritaires.
Une économie en chute libre
Sur le plan économique, les effets du putsch sont tout aussi désastreux. La rupture des partenariats internationaux, la suspension des aides, l’arrêt de nombreux projets structurants, la fermeture de la frontière avec le Bénin – principal débouché maritime – ont plongé le pays dans une récession brutale. L’inflation galopante, le chômage massif, la fuite des investisseurs et la montée de la pression fiscale ont créé un climat de défiance et d’incertitude.
Malgré la manne pétrolière, aucune politique économique cohérente n’est perceptible. La gestion des ressources est décriée comme opaque, marquée par une résurgence de la corruption et de l’impunité. Le pays, enclavé, isolé diplomatiquement, peine à faire face à ses engagements financiers.
Un effondrement social et une instrumentalisation de la souveraineté
L’école, autrefois au cœur du projet républicain, est sinistrée. Des centaines d’établissements sont fermés, notamment dans l’Ouest du pays, en raison de l’insécurité. Le système de santé est à l’abandon. Aucun dialogue social n’est engagé avec les corps professionnels. L’unité nationale est menacée par des discours identitaires et des manipulations linguistiques, alimentant des tensions intercommunautaires dangereuses.
Le discours souverainiste brandi par la junte se traduit dans les faits par un isolement diplomatique et économique croissant. La souveraineté, vidée de son sens, devient un slogan utilisé pour justifier l’arbitraire et détourner l’attention des difficultés internes.
Une transition sans cap
Sur le terrain politique, le vide est presque total. En dehors de quelques réformes institutionnelles improvisées et peu crédibles, aucune feuille de route claire n’a été présentée. Les assises dites de la « refondation » ont accouché de conclusions floues et largement ignorées. La dissolution des partis politiques, la création de nouvelles figures « fabriquées », et la tentative de recomposition partisane autour d’un futur parti personnel illustrent une logique de confiscation du pouvoir.
L’homme que certains surnomment « T3 alias Charlie MI », présenté comme l’instigateur civil du putsch, apparaît comme l’architecte de cette dérive autoritaire. Son influence dans les décisions clés de la junte, son contrôle supposé sur les nominations et son ambition de créer un parti loyal à ses intérêts, illustrent une volonté de prise en main totale de la vie politique nigérienne, en contournant les règles du jeu démocratique.
Une trahison aux conséquences incalculables
Au final, ce qui s’est joué le 26 juillet 2023 ne relève pas d’un coup d’État dans le sens classique du terme, mais bien d’une trahison d’État. Une manœuvre menée contre un président dont la seule faute fut de vouloir gouverner avec intégrité. La séquestration prolongée de Mohamed Bazoum et de son épouse, sans motif ni jugement, constitue une entorse grave aux droits humains et un symbole éclatant de cette régression.
Deux ans plus tard, le Niger semble méconnaissable : chaos sécuritaire, paralysie économique, effondrement social, autoritarisme politique. Un pays défiguré, désorienté, où les ambitions personnelles ont pris le pas sur l’intérêt général. Reste une inconnue : combien de temps encore cette situation pourra-t-elle tenir avant que la société nigérienne n’exige, de nouveau, le retour à un ordre constitutionnel légitime ?