Mali: Kidal, ou l’Art de Planter un Drapeau sur le Vide

Par Sambou Sissoko et Mohamed AG AHMEDOU, dans l’imaginaire collectif malien.

Le drapeau des mercenaires russes de Wagner hissé au dessus du bâtiment historique de la ville de Kidal appelé »le fort de Kidal », les jours qui suivent le 14 Novembre 2023. Une preuve qui prouve que les russes veulent faire savoir au monde entier que ce sont eux qui ont pris la ville de Kidal aux mouvements armés de l’Azawad à l’époque.

Le 14 novembre 2023, une date qui, dans les manuels d’histoire à venir (si d’aventure ils sont encore imprimés), sera peut-être évoquée non pas comme celle d’une libération triomphale, mais comme celle d’un théâtre désert, où l’on a levé un rideau sans acteurs, salué une foule inexistante, et acclamé une victoire sans combat. Kidal a été « reprise », nous dit-on. Mais reprise sur qui ? Pour quoi ? Et surtout, par quoi ?

Dans les images diffusées en boucle sur les chaînes publiques, un drapeau malien claque fièrement au vent du désert. Il est hissé, comme dans un film de guerre à budget modeste, sur une colline désertée. Les hommes en treillis, eux, paradent au ralenti, tandis que la musique martiale rivalise de décibels avec les déclarations fiévreuses de la junte. Le tout donne à voir une chorégraphie patriotique qui emprunte davantage à une opérette militaro-souverainiste qu’à une réelle opération de stabilisation.

Mais Kidal n’a pas été libérée, car pour cela encore eût-il fallu qu’elle fût occupée. Or, avant cette date, aussi inconfortable que cela puisse paraître aux tenants du récit héroïque, il y avait un gouverneur, une administration, une fragile routine bureaucratique, des écoles, une économie informelle en pleine survie, et même  tenez-vous bien, un drapeau malien, en accord avec les sacro-saints termes de l’Accord d’Alger.

Mais voilà, dans la grande tradition des mythes fondateurs bricolés à la hâte, il fallait à la junte un trophée. Kidal fit l’affaire. C’est ainsi que cette ville, longtemps transformée en chiffon rouge dans l’arène politique de Bamako, est redevenue un totem utile, un ascenseur vers une légitimité préfabriquée. Que les populations aient fui, que les services de l’État n’aient pas suivi, que les écoles soient closes et les marchés vides,  tout cela compte peu face au storytelling guerrier qui alimente les bulletins télévisés du soir.

Plus cynique encore, cette opération a servi d’emballage pour introduire  avec l’élégance d’un char dans un salon de thé,  la présence du groupe Wagner rebaptisé Africa Corps. Une société militaire privée, importée de l’Est, qui s’implante dans les sables du Nord malien comme une franchise douteuse dans un centre commercial abandonné.

Et pendant que les généraux savourent leur moment de gloire télévisée, le reste du pays, lui, s’enfonce. Les écoles ferment, les enseignants s’exilent, les engins explosent, les routes se referment comme des blessures mal soignées, et les douaniers se font discrets, quand ils ne se font pas tuer. La souveraineté, cette fois-ci, n’est pas célébrée. Elle est méthodiquement saccagée.

Mais ne nous y trompons pas : le Mali d’aujourd’hui n’est pas gouverné, il est administré comme une garnison assiégée. La presse est bâillonnée, les opposants réduits au silence ou à l’exil, les syndicats domestiqués comme chiens de salon. La démocratie, elle, est en soins intensifs — sans respirateur. Et pendant ce temps, les militaires peaufinent leur mise en scène, recyclent les discours souverainistes comme on recycle les vieux jingles radiophoniques d’une époque oubliée.

Ce qu’il s’est passé à Kidal, ce n’est pas un retour de l’État : c’est le cosplay de l’État. Un drapeau sans institutions. Une armée sans relais civil. Un désert habité par le vide.

Mais à quoi bon tout cela ? Pour cinq ans de règne sans élection, sans opposition, sans projet. Pour ériger une façade de puissance sur les décombres de la réalité. Pour troquer l’autodétermination contre la sous-traitance géopolitique. Car ne nous y trompons pas : Wagner ou Africa Corps  n’est pas un partenaire. C’est un prête-nom pour l’ingérence. Un drapeau russe cousu sur l’uniforme malien.

Le véritable drame, c’est que Kidal devient le miroir de notre époque : une illusion d’ordre, une fiction de souveraineté, une mascarade de puissance. Un mirage dans le désert.

Et pendant qu’à Paris ou Bruxelles, quelques experts au regard inquiet commentent le « retour de l’État malien » dans leurs colonnes, les vrais Maliens, eux, fuient les écoles fermées, les centres de santé vides, et les checkpoints tenus par des hommes sans écusson. Là où l’État devrait être, il n’y a plus que des armes, des uniformes, et des silences inquiétants.

Il est encore temps de choisir une autre voie. Une voie faite de justice, de reconstruction, de démocratie véritable. Mais pour cela, il faudra cesser d’applaudir les drapeaux plantés sur les ruines et commencer à reconstruire, grain de sable par grain de sable, l’édifice d’un État réellement souverain.

En attendant, Kidal flotte dans le désert. Comme une illusion accrochée à un mât.

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