Au Mali, les dosos déposent les armes et brisent le silence

Leur voix crépite dans un enregistrement de moins de deux minutes. Aucun cri de ralliement, aucune menace à l’horizon. Juste un message d’alerte, presque un aveu : « Qu’on ne se promène plus en tenue de chasseur. Qu’on laisse le fusil au village. » Les dosos, chasseurs traditionnels du pays bambara devenus supplétifs des forces de défense, semblent désormais fatigués de faire la guerre. Ou peut-être ont-ils simplement cessé d’y croire.

Longtemps présentés comme des remparts communautaires face à la progression jihadiste au centre du pays, ces milices d’autodéfense tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Leur désengagement progressif témoigne d’un basculement plus profond : celui d’une guerre qui ne dit plus son nom, et d’un État qui, malgré les discours martiaux du pouvoir de transition, peine à affirmer sa souveraineté hors des grandes villes.

Des pactes de survie dans les brousses du Macina

Selon plusieurs sources locales et vidéos consultées par Le Monde Afrique, certains groupes de dosos auraient conclu des accords de non-agression avec les Sakirabé, combattants affiliés à la Katiba du Macina. Ces « pactes » – encore tabous dans l’espace public malien – sont pourtant le signe d’une réorganisation silencieuse du territoire. Là où l’armée se retire ou ne vient plus, la négociation devient la seule issue possible pour les populations, et pour ceux qui étaient autrefois leurs protecteurs.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’intensifie. De nombreux villages du cercle de Djenné, de Koro ou de San vivent sous un régime d’autonomie de fait, où le pouvoir central n’a plus qu’une présence symbolique. « On a été envoyés en première ligne, puis oubliés. Maintenant, chacun se débrouille », confie un ancien chef de dozo joint par téléphone, sous couvert d’anonymat.

Cinq ans sans élections, une transition sans cap

Ces signes de rupture interviennent dans un contexte politique étouffé. Le 5 juillet 2025, à Klela, pendant qu’un prédicateur controversé tient prêche devant une foule attentive, une partie du pays semble s’éloigner encore un peu plus de Bamako. Depuis le coup d’État d’août 2020, le Mali vit sous une succession de transitions militaires. L’échéance électorale, sans cesse repoussée, reste floue. Et avec elle, l’espoir d’un retour à l’ordre constitutionnel.

La junte conduite par le colonel Assimi Goïta continue de proclamer ses victoires sur le « terrorisme » et la « dépendance étrangère », tout en resserrant son contrôle sur l’appareil d’État. Mais sur le terrain, la réalité paraît bien plus nuancée. Dans les villages du centre, ce ne sont ni les militaires maliens ni leurs alliés russes que l’on voit le plus souvent. Ce sont les Sakirabé, désormais installés dans le paysage, et les dosos, las de servir de boucliers dans une guerre sans fin.

Quand les symboles se fissurent

L’image du chasseur malien en tenue traditionnelle, fusil à l’épaule, aura longtemps été brandie comme un symbole de résilience populaire. Aujourd’hui, elle vacille. « À quoi bon porter l’illusion de la force quand on sait qu’aucun renfort ne viendra ? », interrogeait l’un des orateurs du message vocal. Derrière la formule, c’est tout un imaginaire de résistance qui s’effondre, emporté par l’usure, les trahisons et la solitude.

Si les autorités de Bamako entendent encore maintenir une façade d’ordre, elles ne peuvent ignorer les fissures profondes qui traversent le socle social et sécuritaire du pays. Pour les dosos, comme pour tant d’autres, l’heure n’est plus au combat. Elle est à la survie.

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