Mali : Une guerre imposée au peuple, un silence complice face aux souffrances du Nord

Depuis 2021, les mouvements armés du nord du Mali avaient pourtant tourné une page symbolique : l’abandon du terme « Azawad » dans leur dénomination et la création du Cadre Stratégique Permanent pour la Paix, la Sécurité et le Développement (CSP-PSD), un organe inclusif dans lequel même le ministère malien de la Réconciliation nationale siège. Cet effort de compromis et de paix semblait ouvrir une voie nouvelle, à l’abri des vieux démons de la division. Mais c’était sans compter sur une junte militaire dont les choix bellicistes ont, depuis, plongé le Mali dans un nouveau cycle de guerre.

Une guerre contre le dialogue

En 2023, un tournant brutal est pris. Sous le prétexte de l’attaque sanglante du bateau « Tombouctou » en septembre – événement tragique ayant coûté la vie à quelque 200 civils  les autorités militaires maliennes ont relancé une offensive généralisée contre les groupes armés du Nord. Très vite, cette action s’est apparentée moins à une opération sécuritaire qu’à une politique de représailles et de rejet d’un accord de paix pourtant toujours en vigueur, l’Accord d’Alger de 2015.

Or, les circonstances de l’attaque du bateau, entourées d’incertitudes, ont été immédiatement exploitées pour désigner, sans preuve solide, les populations nomades du Nord comme suspectes. Une manœuvre dangereuse qui entretient les divisions et la stigmatisation ethnique.

Un silence assourdissant sur les massacres dans le Nord-Est

Le plus choquant reste cependant l’inégalité flagrante dans la compassion et l’indignation affichée par le régime militaire. Entre 2019 et mai 2022, plus de 3 000 civils touaregs des communautés Idoussahak et Imghad ont été tués par les terroristes de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) dans les cercles de Ménaka et ses environs : Tamalate, Inchinane, Tin-Fadimata, Anderboukane, Inekar, Inkadewane, Talatayte… Autant de villages dévastés dans un silence quasi total de Bamako.

Le massacre de familles entières, l’exode de dizaines de milliers de personnes et le vol massif de bétail (vaches, moutons, chamelles, dromadaires), ressource vitale des communautés pastorales, n’ont suscité aucune condamnation officielle, aucun discours solidaire du pouvoir central, aucune mobilisation nationale.

Comment expliquer ce double standard ? Pourquoi la vie des civils nomades du Nord pèserait-elle moins que celle des autres Maliens ? Ce silence trahit une réalité glaçante : une partie du Mali semble traitée comme une zone hors-nation, oubliée, sacrifiée.

Une stratégie de pouvoir, pas de paix

L’attitude de la junte s’analyse alors moins comme une politique de défense nationale que comme une stratégie de légitimation par le conflit. En diabolisant les anciens partenaires du processus de paix, elle tente de ressouder un pouvoir affaibli, rejetant les responsabilités sécuritaires sur des boucs émissaires commodes.

Mais cette stratégie fait courir un risque immense au Mali tout entier : celui de faire exploser l’unité nationale sur l’autel de calculs militaires de court terme. Le peuple malien, dans toutes ses composantes, mérite mieux que cette instrumentalisation de la guerre. Il mérite la vérité, la justice, et un État qui protège tous ses citoyens y compris les pasteurs nomades de Ménaka, de Gao ou de Kidal.

Il est temps de rappeler aux autorités de Bamako que gouverner, ce n’est pas imposer la guerre, c’est construire la paix. Que l’État malien est redevable à tous ses enfants, sans distinction. Et que les morts de Tamalate valent autant que ceux de Tombouctou.

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