
Le 18 mai 1994, le village de Wadi Charaf, bastion paisible de la communauté Kel Essouk dans le nord du Mali, a été le théâtre d’un massacre silencieux. Ce jour-là, des soldats des Forces Armées Maliennes (FAMa) ont ouvert le feu sur des civils désarmés : femmes, enfants, vieillards. Une violence brutale, sans sommation. Des dizaines de vies fauchées. Des familles brisées. Et depuis, un silence étouffant.
Trente ans plus tard, les plaies sont toujours ouvertes. Les survivants n’ont pas oublié. Ils n’ont jamais cessé de réclamer la vérité. Fatimata a perdu trois enfants. Mariam a vu son père tomber sous les balles. Brahim a enterré les siens dans le silence d’un deuil sans justice. Leurs voix, rares mais puissantes, rappellent une chose essentielle : ce qui s’est passé à Wadi Charaf n’est pas une erreur de l’histoire. C’est un crime impuni.
Pourquoi ce silence ? Pourquoi aucune reconnaissance officielle ? Pourquoi aucun procès, aucune commission de vérité ? Lorsque l’État est à la fois juge et bourreau, qui parle pour les victimes ? Qui défend leur mémoire ?
Wadi Charaf n’est pas un simple épisode tragique. C’est un symbole. Celui de l’oubli organisé. De l’impunité qui ronge la confiance entre l’État et les populations. De cette fracture nord-sud qui, trop souvent, se nourrit des morts que l’on refuse de nommer.
Aujourd’hui, le Mali veut tourner la page, construire la paix, réconcilier ses enfants. Mais il n’y a pas de paix sans mémoire. Pas de réconciliation sans vérité. Et surtout, pas d’avenir sans justice.
Il est temps que Wadi Charaf sorte de l’ombre. Pour que les morts reposent enfin en paix. Et que les vivants puissent, un jour, vivre sans ce poids écrasant du silence.