Par Rania Hadjer, journaliste et écrivaine

Depuis 2012, le camp de M’berra, situé en Mauritanie, accueille des milliers de réfugiés maliens fuyant les violences, les conflits armés et l’instabilité persistante dans leur pays. Pourtant, loin des projecteurs médiatiques, ces hommes, femmes et enfants survivent dans des conditions de plus en plus précaires, exacerbées par une assistance humanitaire en déclin et un accès limité aux services essentiels.
Un système de classification controversé
Selon plusieurs témoignages recueillis auprès de sources locales et des réfugiés eux-mêmes, les habitants du camp sont répartis en trois catégories, un classement qui détermine leur accès à l’aide humanitaire :
Catégorie 1 : Bénéficie d’une assistance complète, incluant nourriture, soins médicaux et autres services essentiels.
Catégorie 2 : Reçoit uniquement une aide médicale, souvent soumise à des conditions strictes.
Catégorie 3 : Exclue de toute forme d’assistance, ni alimentaire ni médicale.
Un responsable du camp, ayant requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, explique que cette classification a été instaurée en réponse à un retrait soudain et important de financements, notamment de la part des donateurs américains au sein du Programme Alimentaire Mondial (PAM). « L’objectif initial était de prioriser les cas les plus urgents, mais le système a rapidement montré ses limites », reconnaît-il.

Une enquête menée par la PAM en partenariat avec l’Etat Mauritanien et l’UNHCR a servi de base à ce profilage, mais elle comporte des incohérences. « Des personnes particulièrement vulnérables se retrouvent en catégorie 3, sans aucun accès à l’aide alimentaire ou médicale. Une fois classé, il est quasiment impossible de changer de catégorie, malgré les nombreuses plaintes », déplore le responsable.
Cette situation soulève de graves inquiétudes quant à l’équité et à l’efficacité de la distribution de l’aide dans le camp.

Une crise humanitaire imminente
La situation médicale est particulièrement alarmante. Selon les informations recueillies, l’aide sanitaire sera totalement suspendue dès la fin mai 2025 pour toutes les catégories, faute de financements. « La couverture sanitaire est déjà insuffisante pour répondre aux besoins de base. Sans nouveaux financements, ce sera une catastrophe humanitaire », avertit le responsable.
Les réfugiés confirment cette détresse. « Il faut débourser 500 UM (environ 13 USD) pour être soigné. Sans argent, on ne vous regarde même pas », témoigne un habitant du camp, illustrant la précarité d’un système de santé devenu inaccessible à la majorité.

L’aide alimentaire est également mal répartie : seuls les nouveaux arrivants et les réfugiés de catégorie 1 reçoivent des rations, souvent insuffisantes pour subvenir aux besoins nutritionnels. « Beaucoup d’entre nous dépendent désormais de la solidarité entre voisins pour manger », explique un réfugié.
Le camp de Mberra, ouvert il y a plus d’une décennie, est aujourd’hui saturé. « Avec l’insécurité persistante au Mali, les retours sont impossibles. De nouveaux réfugiés continuent d’arriver, et les infrastructures sont débordées », alerte le responsable.
Cette situation soulève des questions cruciales sur la pérennisation du camp et la nécessité de solutions durables, notamment en matière de relocalisation ou de réintégration.
Lettre ouverte au président Mauritanien:
Dans ce contexte critique, une lettre ouverte datée du 3 juin 2025 a été adressée President mauritanien, Monsieur Mohamed Ould Ghazouani par Mohamed Ag Ahmedou, journaliste et acteur de la société civile des régions de Tombouctou et Taoudeni au Mali, également Secrétaire général du Mouvement pour la Transformation et la Réconciliation du Mali (MTRM).
Dans cette lettre, l’auteur exprime un profond respect pour les valeurs de justice, d’hospitalité et de solidarité qui caractérisent la Mauritanie, tout en attirant l’attention du Président sur la situation alarmante des réfugiés maliens dans les camps de M’berra et Aghor, qui regroupent plus de 260 000 personnes selon l’UNICEF en 2025.
Mohamed Ag Ahmedou souligne notamment :
- Le manque d’assistance alimentaire et de soins médicaux insuffisants.
- Les restrictions de déplacement imposées aux réfugiés.
- La classification des réfugiés en trois catégories, avec la suspension annoncée de l’assistance médicale à partir de fin mai 2025 pour toutes les catégories, laissant des milliers sans soins dans un environnement désertique.
- La dégradation des conditions de vie qui pousse de nombreuses familles à quitter le camp de M’berra pour d’autres camps ou des villages.
L’auteur appelle à une mobilisation renforcée des services compétents pour améliorer les conditions de vie, un appui accru aux structures sanitaires locales, et une révision des mesures de restriction de circulation dans le respect des droits fondamentaux.

Il conclut en exprimant son espoir et sa confiance dans la capacité du Président à répondre à cet appel urgent, soulignant la reconnaissance des réfugiés envers la Mauritanie pour son accueil jusqu’à présent.