Tribune écrite par Koffi Dovene, expert sur les questions politiques , sécuritaires, de gouvernance et de stabilité du Niger.

La Russie face aux sanctions internationales : espoir ou méfiance ? Solidarité stratégique ou repli géopolitique ?
Introduction : Un contexte géopolitique en mutation.
La région du Sahel, marquée par une instabilité chronique et un retrait progressif des forces occidentales (France, Barkhane, ONU), connaît une recomposition majeure de son paysage stratégique. L’émergence de l’Alliance des États du Sahel (AES) – Mali, Burkina Faso, Niger – et le renforcement de l’influence russe dans la région s’inscrivent dans un triple contexte :
– Déclin de la légitimité occidentale : Une défiance accrue des populations locales envers l’Occident, perçu comme héritier d’un colonialisme économique et militaire.
– Sanctions internationales contre la Russie : Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, Moscou cherche à contourner son isolement diplomatique en consolidant des alliances alternatives.
– Fragilité des régimes sahéliens : Des juntes militaires, issues de coups d’État, légitiment leur pouvoir par une rhétorique anti-impérialiste et un rapprochement avec Moscou.
Ce rapport analyse les dynamiques complexes de cette relation, en interrogeant ses fondements, ses impacts et ses implications pour la stabilité régionale.
1. La Russie face aux sanctions internationales : Espoir ou méfiance pour le Sahel ?
1.1. Un partenariat ancré dans l’histoire, mais orienté vers les intérêts russes
La Russie n’est pas un acteur nouveau au Sahel. Ses relations avec les États africains remontent à la période soviétique, marquées par des coopérations militaires et idéologiques. Toutefois, la Russie contemporaine se distingue par :
– Une stratégie pragmatique et mercantile : Contrairement à l’URSS, elle privilégie les accords bilatéraux lucratifs (vente d’armes, exploitation minière) plutôt qu’un soutien idéologique.
– L’usage de proxies militaires : Le groupe Wagner, actif au Mali et au Burkina Faso, incarne une externalisation de la violence d’État, combinant opérations sécuritaires opaque et contrôle des ressources.
1.2. Les limites d’un engagement sécuritaire déséquilibré.
Si Moscou se présente comme un « libérateur » face à l’« impérialisme occidental », son action révèle des contradictions :
– Absence de vision développementale : Aucun investissement significatif dans les infrastructures, l’éducation ou la santé, pourtant clés pour une stabilité durable.
– Exploitation économique prédatrice : Les contrats miniers (or, uranium) favorisent des élites locales corrompues, sans retombées pour les populations.
– Mépris des droits humains : Les exactions attribuées à Wagner (massacres de civils, pillages) alimentent un cycle de violence, exacerbant les tensions communautaires.
La Russie capitalise sur les frustrations anti-occidentales, mais son modèle offre une fausse promesse de souveraineté, substituant une dépendance militaire à une autre.
2. Solidarité stratégique ou repli géopolitique ?
2.1. Une recomposition opportuniste des alliances
L’AES incarne une volonté de rupture avec l’ordre postcolonial, mais son rapprochement avec Moscou s’explique par :
– La recherche de légitimité par les juntes : Les régimes militaires instrumentalisent l’anti-francisme pour justifier leur pouvoir illégitime et obtenir un soutien face aux condamnations internationales.
– La quête de multipolarité de la Russie : Affaiblie par les sanctions, Moscou utilise l’AES comme levier pour restaurer son statut de puissance globale, en s’appuyant sur son veto au Conseil de sécurité de l’ONU.
2.2. Une asymétrie au profit de Moscou
Cette alliance cache un déséquilibre structurel :
– Dépendance sécuritaire : Les pays de l’AES paient cash des services mercenaires (jusqu’à 10 millions USD/mois pour Wagner), alourdissant leur dette sans résultats tangibles (persistance des attaques djihadistes).
– Pertes de souveraineté : Les contrats miners accordés à des sociétés russes (ex. : Lobaye Invest au Mali) contournent les législations locales, privant les États de revenus vitaux.
3. Défis et perspectives : Vers une stabilité inclusive ?
3.1. Des défis multidimensionnels
– Échec sécuritaire : Malgré la présence russe, le Mali et le Burkina Faso ont perdu le contrôle de 30 à 40 % de leur territoire.
– Dérives autoritaires : Censure des médias, emprisonnement des opposants et instrumentalisation de la jeunesse (conscription forcée) rapprochent l’AES du modèle de gouvernance russe.
– Affaiblissement des institutions régionales : La création de l’AES fragilise la CEDEAO, pourtant seule garante crédible des mécanismes démocratiques en Afrique de l’Ouest.
3.2. Pistes de solutions durables
1. Renforcer les capacités endogènes :
– Réformer les armées nationales (dépolitiser, professionnaliser).
– Investir dans l’inclusion socio-économique pour priver les groupes djihadistes de vivier recrutement.
2. Équilibrer les partenariats internationaux* :
– Diversifier les alliances pour éviter la dépendance exclusive à Moscou.
– Impliquer l’Union africaine dans la médiation des crises.
3. Relancer une diplomatie occidentale réinventée :
– Privilégier des accords de co-développement (énergie solaire, agriculture) plutôt que l’aide conditionnelle.
– Soutenir les OSC locales pour contrer la désinformation pro-russe.
Conclusion : L’urgence d’un sursaut collectif
L’influence russe au Sahel repose sur un double mirage : la promesse d’une souveraineté retrouvée pour les États de l’AES et d’une puissance restaurée pour Moscou. En réalité, cette dynamique alimente un cercle vicieux d’exploitation et d’instabilité.
Face à ce constat, la revitalisation de la CEDEAO et une réforme profonde des gouvernances locales s’imposent comme priorités. Sans un retour à l’État de droit et une coopération internationale équilibrée, le Sahel risque de sombrer dans une ère de néo-vassalisation, où les peuples paieront le prix fort des ambitions géopolitiques étrangères.
Waouh !
C’est vraiment merveilleux.
C’est très pertinent cher ami.
Cela rend fidèlement compte de la triste réalité que tu as décrite.
Très pertinent, le grand Koffi. Cette réelle peinture de la triste réalité doit servir de repère pour sauver le peu qui reste au Sahel. Le Peuple doit s’imposer et imposer sa vision. TOGETHER…
Je suis absolument convaincu par vos propos